HISTOIRE GÉNÉRALE DE L’AFRIQUE Afrique ancienne egypte de cheick anta diop
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- Publication : mercredi 23 septembre 2020 02:21
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HISTOIRE
GÉNÉRALE
DE
L’AFRIQUE
Afrique ancienne
Chapitre 1 à 7
Egypte
Cheikh Anta Diop
2.1.1
2.1.1 L'égypte pharaonique
Parmis les anciens anthrophrologues la race égyptienne était en majorité la race noire...
La fin de l’ère glaciaire en Europe semble avoir entraîné d’importantes modifications
dans le climat des pays situés au sud de la Méditerranée. La diminution
du volume des pluies amena les populations nomades de l’Afrique saharienne
à immigrer vers la vallée du Nil pour être sûres de trouver de l’eau de
façon permanente. Le premier peuplement véritable de la vallée du Nil pourrait
avoir commencé au début du Néolithique (vers – 7000). Les Egyptiens
adoptèrent alors un mode de vie pastoral et agricole. Tout en perfectionnant
leurs outils et leurs armes de pierre, ils inventèrent également ou adoptèrent
la poterie, ce qui nous a été très précieux pour reconstituer un tableau complet
des différentes cultures de l’Egypte au cours du Néolithique1.
2.1.2 La préhistoire egyptienne
Peu avant la période historique, les Egyptiens apprirent à utiliser les
métaux2. Ceci les conduisit à la période dite Chalcolithique (ou Cuprolithique).
Le métal peu à peu supplanta le silex. L’or et le cuivre eux aussi
firent leur première apparition bien que le bronze n’ait pas été utilisé avant
le Moyen Empire et que, semble-t-il, l’emploi du fer n’ait pu être généralisé
avant la dernière période de l’histoire pharaonique.
2.1.3 L'Egypte et ses premiers occupants
L’Egypte, située au nord-est de l’Afrique, est un petit pays par rapport à
l’énorme continent dont elle forme une partie. Et pourtant, elle a donné naissance
à l’une des plus grandes civilisations du monde. La nature elle-même
a divisé le pays en deux grandes parties différentes : les étroites bandes de
terre fertile situées le long du fleuve, d’Assouan jusqu’à la région du Caire
d’aujourd’hui, que l’on appelle la « Haute-Egypte », et le large triangle formé
au cours des millénaires par le limon déposé par le Nil qui coule vers le nord
pour se jeter dans la Méditerranée, région que l’on appelle « Basse-Egypte »
ou « Delta ».
Les premiers occupants n’eurent pas la vie facile et il dut y avoir d’âpres
luttes entre différents groupes humains pour s’assurer des terres en bordure
du Nil et dans la région relativement restreinte du Delta. Ces populations
venues de l’est et de l’ouest aussi bien que du sud appartenaient sans doute
à plusieurs groupes somatiques. Il n’y a rien de surprenant à ce que les obstacles
dressés par la nature, ajoutés à la diversité des origines, aient au départ
isolé ces différents groupes qui s’établirent dans des territoires séparés, le
long de la Vallée. On peut voir dans ces groupes l’origine des nomes qui
constituèrent le fondement de la structure politique de l’Egypte au cours de
la période historique. Cependant le Nil fournissait un moyen de communication
commode entre les localités situées sur ses rives et contribua à créer
l’unité de langue et de culture qui fit disparaître finalement les particularités
individuelles.
2.1.4 Les premieres réalisations de l'Egypte
La grande réalisation de l’époque historique fut le contrôle de la terre
(cf. ci-dessus, Introduction). Installés tout d’abord sur des affleurements de
pierre au-dessus des plaines d’alluvions, ou sur un terrain plus élevé en bordure
du désert, les premiers Egyptiens réussirent à dégager le terrain situé
immédiatement autour d’eux pour le cultiver, à assécher les marécages et
à construire des digues pour lutter contre les crues du Nil. Peu à peu, ils
apprirent les avantages des canaux pour l’irrigation. Ce travail nécessitait
un effort organisé sur une grande échelle, qui contribua au développement
d’une structure locale à l’intérieur de chaque province.
Certains fragments de textes de la littérature primitive3 pourraient avoir
conservé le souvenir du développement de l’unité politique de l’Egypte. A une
époque reculée, les nomes du Delta se seraient, semble-t-il, organisés en coalitions.
Les nomes occidentaux de cette région étaient traditionnellement unis
par le culte du dieu Horus, tandis que ceux de l’est du Delta avaient pour protecteur
commun le dieu Andjty, seigneur de Djadou, qui fut plus tard absorbé
par Osiris. Les nomes occidentaux, a-t-on suggéré, auraient vaincu ceux de
l’Est et formé au nord de l’Egypte un royaume uni. Ainsi, dans tout le Delta se
serait étendu le culte d’Horus considéré comme le plus grand des dieux, culte
qui se serait étendu progressivement à la Haute-Egypte pour détrôner Seth, le
principal dieu d’une union des peuples de la Haute-Egypte4.
2.1.5 Premiere événement historique Egyptien
Le premier événement d’importance historique qui nous soit connu, est
l’union de ces deux royaumes préhistoriques en un seul ; ou plutôt l’assujettissement
de la Basse-Egypte par le souverain de la Haute-Egypte que
la tradition désigne sous le nom de Ménès alors que les sources archéologiques
l’appelèrent Narmer. Il inaugure la première des trente « dynasties »
ou familles régnantes entre lesquelles l’historien égyptien Manéthon (– 280)
répartit la longue lignée des souverains jusqu’à l’époque d’Alexandre le
Grand. La famille de Ménès résidait en Haute-Egypte à Thinis, qui était la
principale cité de la province englobant la ville sacrée d’Abydos. C’est près
d’Abydos, où se trouve le temple du dieu Osiris, que Petrie déterra les gigantesques
tombeaux des rois des deux premières dynasties. Sans aucun doute,
c’est le royaume du Sud qui imposa sa domination au pays tout entier et peu
après sa première victoire Narmer installa sa capitale à Memphis, près de la
ligne de démarcation des deux territoires5.
Nous ne connaissons encore que de façon
2.1.6 Les premiers rois d'Egypte
Nous ne connaissons encore que de façon assez vague les rois des
deux premières dynasties (la période archaïque) (cf. chap. 1) ; et il ne
nous est pas possible d’en apprendre beaucoup plus sur les événements
de chacun de leurs règnes. Cependant, il est hors de doute que cette
période fut marquée par une rude tâche de consolidation. Au cours des
300 ans qui suivirent la Ire dynastie, la culture de la fin de la période prédynastique
demeura vivace, mais il apparaît que pendant les IIIe et IVe
dynasties l’unité politique se renforça et que le nouvel Etat avait assez de
stabilité pour s’exprimer d’une manière spécifiquement égyptienne. Ceci
s’effectua grâce à la création d’un nouveau dogme selon lequel le roi était
considéré comme différent des hommes, en fait comme un dieu régnant
sur les humains. Le dogme de la divinité de Pharaon6, difficile à cerner,
fut un concept formé au cours des premières dynasties de façon à affermir
une autorité unique sur les deux territoires. A dater de la IIIe dynastie, on
pourrait admettre que c’est un dieu qui est à la tête de l’Etat, et non un
Egyptien du Nord ou du Sud.
Selon la théorie de la royauté, le pharaon incarnait l’Etat et était responsable
de toutes les activités du pays (cf. chap. 3). De surcroît il était le grand
prêtre de chacun des dieux et tous les jours, dans tous les temples, il était au
service de ceux-ci. Dans la pratique, il lui était impossible d’accomplir tout ce
qu’il était censé faire. Il lui fallait des délégués pour s’acquitter de ses tâches
au service des dieux : des ministres d’Etat, des représentants officiels dans
les provinces, des généraux dans l’armée et des prêtres dans les temples. En
vérité, son pouvoir théorique était absolu ; mais, dans la pratique, il n’était pas
libre d’agir à sa guise. Après tout, il incarnait des croyances et des pratiques
solidement établies depuis longtemps, et qui, au cours des années, s’étaient
progressivement développées. La vie privée des rois était dans la réalité si
codifiée qu’ils ne pouvaient même pas se promener à pied ou prendre un
bain sans se soumettre à un cérémonial établi pour eux et réglé par des rites
et des obligations.
2.1.7 La dynastie 2900- 2280 avant notre ère, Egypte
(2900 -2280 avant notre ère)
IIIe dynastie
On a déjà noté que les rois des deux premières dynasties (période archaïque)
semblent s’être avant tout préoccupés de conquêtes et de la consolidation
de celles-ci. Nous croyons que le nouveau dogme de la royauté divine
apparut en fait avec la IIIe dynastie et que c’est à ce moment-là seulement que l’Egypte devint une nation unifiée.
9. Pour les « Textes des Sarcophages », l’édition de base du texte seul est de A. de BUCK,
Chicago, 1935 -1961. Traduction anglaise des textes dans R.O. FAULKNER, Oxford, 1973 -1976
10. En français, traduction dans P. BARGUET, Paris, 1967. L’Oriental Institute of Chicago a
publié de son côté, en traduction anglaise annotée, un « Livre des Morts » complet ; cf. Th. G.
ALLEN, Chicago, 1960.
11. En anglais, cf. W.S. SMITH, Cambridge, 1971 (3e éd.) ; en français, J. VANDIER, « L’Ancien
Empire » et « La fin de l’Ancien Empire et la Première Période Intermédiaire », dans E.
DRIOTON et J. VANDIER, Paris, 1962, pp. 205, 238, 239 -242.
La dynastie fut fondée par le roi Djeser
qui, de toute évidence, fut un souverain vigoureux et capable. Cependant sa
renommée a été considérablement surpassée par celle d’Imhotep, architecte,
médecin, prêtre, magicien, écrivain et compositeur de proverbes, célèbre déjà
de son temps, et dont la renommée est parvenue jusqu’à nous. Vingt-trois siècles
après, il devint le dieu de la Médecine, dans lequel les Grecs (qui l’appelaient
Imouthès) reconnaissaient leur propre « Asclépios ». Sa réalisation la plus
remarquable comme architecte fut la « pyramide à degrés » et le vaste complexe
funéraire qu’il construisit pour son pharaon à Saqqarah sur une superficie de
quinze hectares dans un rectangle de 544 mètres sur 277. Il en commença la
construction par un mur de clôture semblable à celui d’une forteresse ; il introduisit
une innovation remarquable en substituant la pierre à la brique.
Les autres rois de la IIIe dynastie furent aussi peu marquants que ceux
des deux premières, bien que l’immense pyramide à degrés, restée inachevée,
du roi Sekhemkhet (qui fut peut-être le fils et le successeur de Djeser)
à Saqqarah, ainsi que l’énorme excavation d’un tombeau non achevé à Zawijet-
el-Aryan, dans le désert au sud de Gizeh, indiquent suffisamment que
le complexe pyramidal de Djeser ne fut pas unique. Le roi Houni, dernier
de la IIIe dynastie, est le prédécesseur immédiat de Snéfrou, fondateur de
la IVe dynastie. C’est le propriétaire d’une pyramide à Meidoum, à environ
soixante-dix kilomètres au sud du Caire. Ce monument, qui à l’origine se
présentait sous la forme d’une série de marches, subit plusieurs agrandissements
et transformations avant de devenir une véritable pyramide lorsqu’il
fut achevé (peut-être par Snéfrou).
IVe dynastie
La IVe dynastie, l’un des sommets de l’histoire de l’Egypte, commence avec
le long règne de Snéfrou dont les annales, telles qu’elles sont conservées en
partie sur la Pierre de Palerme12, nous content les campagnes militaires victorieuses
contre les Nubiens du sud et les tribus libyennes à l’ouest, le maintien
du commerce (en particulier celui du bois) avec la côte syrienne, et les
vastes entreprises de construction menées année après année et comprenant
l’édification de temples, de forteresses et de palais dans toute l’Egypte. Snéfrou
régna vingt-quatre ans ; il appartenait probablement à l’une des branches
mineures de la famille royale. Pour légitimer sa situation, il épousa Hétep-
Hérès13, la fille aînée d’Houni, infusant ainsi du sang royal à la nouvelle
dynastie. Il fit construire deux pyramides à Dashour, celle du sud de forme
rhomboïdale, celle du nord véritablement pyramidale et d’une forme qui se
rapproche quelque peu de celle de la grande pyramide de Khoufou à Gizeh.
Les successeurs de Snéfrou, Khoufou (Chéops), Kafrê (Chéphren) et
Menkaouré (Mykérinos), sont surtout connus grâce aux trois grandes pyramides qu’ils firent élever sur le haut promontoire de Giseh, à dix kilomètres du
Caire d’aujourd’hui La pyramide de Khoufou possède la particularité d’être la
plus grande construction d’une seule pièce jamais élevée par l’homme14 et, par
la perfection du travail, la précision du plan et la beauté des proportions, elle
demeure la première des Sept Merveilles du monde.
12. Cf. ci-dessus. Introduction.
13. La tombe de la reine Hétep-Hérès a été découverte à Gizeh. Elle a fourni un mobilier
d’excellente qualité qui montre l’habileté des artisans égyptiens à l’Ancien Empire. Cf. G.A.
REISNER, Cambridge, Mass., 1955.
Chéphren.
(Source : J. Pirenne 1961, vol. I
fig. 33, p. 116.)
Les pyramides du fils et du petit-fils de Khoufou, bien que plus petites, sont semblables à la fois par la
construction et par la disposition de leurs bâtiments secondaires.
Il y eut plusieurs interruptions dans la succession royale de la IVe dynastie,
dues aux luttes de succession entre les enfants des différentes épouses
de Khoufou. Son fils Didoufri gouverna l’Egypte pendant huit ans avant
Chéphren, et un autre fils s’empara du trône pour une courte période avant la
fin du règne de Chéphren. Il se peut qu’un troisième ait succédé au dernier
vrai roi de la dynastie, Shepseskaf.
2.1.8 Veme dynastie, Egypte
Ve dynastie
Cette dynastie montre bien la puissance grandissante du clergé d’Héliopolis.
Une légende du Papyrus Westcar15 rappote que les trois premiers rois de la Ve
dynastie furent les descendants du dieu Rê et d’une femme Radjedet, épouse
d’un prêtre d’Héliopolis. Ces trois frères étaient Ouserkaf, Sahourê et Neferirkarê.
C’est surtout par les magnifiques bas-reliefs qui décoraient son temple
funéraire à Abousir, au nord de Saqqarah, que l’on connaît Sahourê. C’est un
fait bien connu que, quoique les pyramides royales de la Ve dynastie fussent
bien plus petites que les grandioses tombeaux de la IVe dynastie et de moins
bonne construction, les temples funéraires voisins des pyramides étaient des
ouvrages raffinés, abondamment décorés de bas-reliefs peints dont certains
avaient un caractère semi-historique. Près des pyramides, la plupart des rois
de cette dynastie firent construire de grands temples dédiés au dieu Soleil ;
chacun était dominé par un gigantesque obélisque solaire.
Outre la fréquente construction de temples et leur dotation, comme
la Pierre dite de Palerme (cf. Introduction) en donne la liste, les pharaons
de la Ve dynastie consacrèrent leur activité à préserver les frontières de
l’Egypte et à développer les relations commerciales qui existaient déjà
avec les pays voisins. Des expéditions punitives menées contre les Libyens
du désert occidental, les Bédouins du Sinaï et les populations sémitiques
du sud de la Palestine furent relatées sur les murs de leurs temples funéraires.
De grands navires capables d’affronter la mer explorèrent les côtes
de Palestine durant les règnes de Sahourê et d’Isési.
14. On sait que la pyramide proprement dite, symbole solaire, contient ou surmonte le caveau
funéraire où reposait la momie royale ; cette pyramide n’est qu’un élément du complexe que
constitue la sépulture royale complète. Celle-ci comporte, outre la pyramide, un temple bas, dans
la plaine, dit souvent « temple de la Vallée » et une allée ouverte, ou « chaussée », montant de
ce temple à l’ensemble « haut du complexe », sur le plateau désertique, composé de la pyramide
proprement dite et du temple funéraire, accolé à la face est, le tout entouré d’une enceinte. Cf.
I.E.S. EDWARDS, London, 1947, revised edition, 1961.
15. Texte rédigé pendant le Moyen Empire, cf. G. LEFEBVRE, Paris, 1949, p. 79. Le récit du
Papyrus Westcar est romancé. Les premiers rois de la Ve dynastie descendent des rois de la
IVe dynastie. Cf. L. BORCHARDT, 1938, pp. 209 -215. Toutefois, il paraît certain que le clergé
d’Héliopolis joue un rôle important lors du passage de la IVe à la Ve dynastie.
légypte pharaonique
Des navires égyptiens
atteignirent les rivages du pays de Pount sur la côte des Somalis pour se
procurer des produits de grande valeur (myrrhe, ébène), des animaux, etc.
Le commerce du bois de cèdre avec la Syrie continua d’être prospère et le
port très ancien de Byblos, sur la côte, au pied des pentes boisées du Liban,
vit de plus en plus souvent la flotte égyptienne chargée du commerce de
bois de construction. On sait que les relations commerciales avec Byblos
existèrent dès les toutes premières dynasties (cf. chap. 8). Un temple égyptien
y fut élevé pendant la IVe dynastie et des objets portant le nom de
plusieurs pharaons de l’Ancien Empire ont été découverts dans la ville et
dans les environs du vieux port.
2.1.9 VIe dynastie, Egypte
Rien ne prouve que des troubles politiques dans le pays aient accompagné
le passage de la Ve dynastie à la VIe. Avec le long règne dynamique
de Pépi I (le troisième roi), la dynastie révéla ses mérites. Pour la première
fois un roi égyptien renonça à la tactique militaire purement défensive
pour pénétrer avec le gros de ses armées au coeur du pays ennemi.
Sous la poussée de la grande armée conduite par Ouni, le général égyptien, les
ennemis furent refoulés chez eux jusqu’au mont Carmel au nord et pris au
piège, pendant la dernière de cinq campagnes, par des troupes débarquées
de navires égyptiens sur un point éloigné de la côte nord de la Palestine.
Il est possible, si l’on en croit certaines indications, que Pépi I ait pris
son fils Mérenrê comme co-régent car il apparaît qu’il ne régna seul que
pendant cinq ans au plus. Pendant ce temps, toutefois, il fit beaucoup pour
développer et consolider la mainmise égyptienne en Nubie, et peu avant
sa mort, il parut en personne à la Ire Cataracte pour recevoir l’hommage des
chefs de provinces nubiennes.
A la mort de son frère Mérenrê, Pépi II, qui avait six ans, monta sur le
trône et dirigea le pays pendant quatre-vingt-quatorze ans ; il quitta ce monde
au cours de sa centième année, après l’un des plus longs règnes de l’histoire.
Pendant la minorité du roi, le pouvoir fut aux mains de sa mère et de son frère.
La seconde année du règne de Pepi II fut marquée par le retour en Egypte
d’Herkhouf, nomarque d’Elephantine qui avait voyagé en Nubie et avait
atteint la province de Yam ; il ramenait une riche cargaison de trésors et un danseur
pygmée en cadeau pour le roi. Plein d’enthousiasme, le roi âgé de huit ans
adressa une lettre de remerciements à Herkhouf, le priant de prendre toutes
les précautions possibles pour que le pygmée arrivât à Memphis en bon état.16
Le très long règne de Pépi II s’acheva dans la confusion politique dont
l’origine remonte au début de la VIe dynastie, au moment où la puissance
croissante des nomarques de la Haute-Egypte leur permit de construire leurs
tombeaux dans leur propre province et non pas près du roi dans la nécropole.
16. Herkhouf, nomarque, fit graver le texte même de la lettre royale sur les parois de sa tombe
à Assouan. Traduction du texte par J.H. BREASTED, Chicago, 1906, pp. 159 -161. L’aspect
anthropologique du problème du « Nain danseur du Dieu » a été étudié par R.A. DAWSON, 1938,
pp. 185 -189.
La décentralisation progressa alors rapidement. A mesure que le roi perdait
le contrôle des provinces, les puissants gouverneurs provinciaux voyaient
leur pouvoir s’accroître de plus en plus. L’absence de monuments après ceux
de Pépi II est bien le signe de l’appauvrissement total de la maison royale.
Comme la désintégration gagnait rapidement du terrain, cet appauvrissement
atteignit toutes les classes de la société. La chute fut-elle précipitée
par les forces de désintégration déjà trop puissantes pour qu’aucun pharaon
pût résister, ou par le très long règne de Pépi II qui sut mal se défendre,
on ne le sait pas exactement. Ce qui est clair c’est que l’Ancien Empire se
termina presque dès la mort de Pépi II, et que commença alors une
2.1.10 Premiere période intermédiaire, Egypte
A la mort de Pépi II, l’Egypte se désintégra dans une explosion de désordre.
Une période d’anarchie, de chaos social et de guerre civile commença alors.
Sur toute la longueur de la vallée du Nil, des principicules se battaient dans
une telle confusion que Manéthon nota dans son Histoire de l’Egypte que la VIIe
dynastie comprit soixante-dix rois qui régnèrent soixante-dix jours. Ceci représente
sans doute un régime d’exception installé à Memphis pour remplacer
temporairement la royauté disparue avec l’écroulement de la VIe dynastie17.
On connaît peu de choses sur la VIIIe dynastie et même si le nom des
rois nous est parvenu, l’ordre chronologique de leurs règnes est controversé.
Peu après, cependant, une nouvelle maison réussit à s’installer à Hérakléopolis
(en Moyenne-Egypte) et il y eut quelques tentatives pour maintenir la
culture memphite. Les rois des IXe et Xe dynasties tinrent évidemment sous
leur contrôle le Delta, qui avait été la proie de nomades pillards vivant dans
le désert. La Haute-Egypte toutefois s’était fractionnée entre ses anciennes
unités initiales, chacun des nomes sous le contrôle de son gouverneur local.
Par la suite, l’histoire de l’Egypte est marquée par la croissance d’un empire
thébain qui, pendant la XIe dynastie, devait s’étendre sur la Haute-Egypte
d’abord, et, peu de temps après, sur toute l’Egypte.
C’est le sage Ipou-Our qui a le mieux décrit la situation de l’Egypte
après l’écroulement de l’Ancien Empire, qui avait été l’instigateur des plus
importantes réalisations matérielles et intellectuelles du pays et qui avait
permis aux plus hautes capacités individuelles de se donner libre cours. Ses
écrits qui remontent, semble-t-il, à la Première Période Intermédiaire18 ont
été conservés sur un papyrus du Nouvel Empire qui se trouve maintenant au
musée de Leyde.
2.1.11 Le moyen empire, Egypte
Le Moyen Empire
(2060-1785 avant notre ère)23
Bien que les Egyptiens aient été conscients des valeurs démocratiques, ils les
perdirent de vue. Elles semblaient se préciser pendant les périodes de troubles,
mais s’estompèrent rapidement avec le retour de la prospérité et de la
discipline pendant le Moyen Empire, qui fut la seconde grande période de
développement national. Une fois de plus, l’Egypte s’unifia par la force des
armes. Thèbes jusque-là petit nome inconnu et sans importance, mit un terme
à la suprématie d’Hérakléopolis et revendiqua l’Etat d’Egypte tout entier ; en
gagnant la guerre, Thèbes réunit les deux pays sous son autorité unique.
Le roi Mentouhotep II se distingue comme la personnalité dominante
de la XIe dynastie. Sa grande oeuvre dut être la réorganisation de l’administration
du pays. Toute résistance à la maison royale avait été écrasée, mais il
se peut qu’il y ait eu de temps à autre de petits soulèvements. Quoi qu’il en
soit, le climat politique du Moyen Empire fut différent de celui des époques
précédentes en ce que la sécurité paisible de l’Ancien Empire était une chose
révolue. Mentouhotep II, dont le règne fut long, construisit le plus important
monument de l’époque à Thèbes : le temple funéraire de Deir el-Bahari. Son
architecte créa une forme de construction nouvelle et efficace. Il s’agissait
d’un édifice en terrasses garni de colonnades et surmonté d’une pyramide
bâtie au milieu d’une salle à colonnes située au niveau supérieur24.
Après Mentouhotep, la famille commença à décliner. Sous le règne du
dernier roi de la XIe dynastie, uncertain Amenemhat, portant entre autres
titres celui de vizir du roi, est sans doute le même homme qui fonda la XIIe
dynastie, le roi Amenemhat, premier d’une ligne de puissants souverains.
2.1.12 La deuxième période intermédiaire de l'Egypte
Les noms portés par certains pharaons de la XIIIe dynastie sont le reflet
de l’existence en Basse-Egypte d’une importante population asiatique. Sans
doute cet élément s’accrut-il sous l’effet de l’immigration de groupes nombreux
venus des terres situées au nord-est de l’Egypte et contraints à se
déplacer vers le sud par suite de vastes mouvements de populations dans
le Proche-Orient. Les Egyptiens appelaient les chefs de ces tribus Heka-
Khasouta — c’est-à-dire « Chefs de pays étrangers » — d’où le nom d’Hyksos
forgé par Manéthon et qui est maintenant généralement appliqué au peuple
tout entier.
Les Hyksos ne commencèrent à mettre sérieusement en péril l’autorité
politique de la XIIIe dynastie qu’aux environs de – 1729. En – 1700, cependant,
ils apparaissaient comme un peuple de guerriers bien organisés et bien
équipés ; ils conquirent la partie est du Delta, y compris la ville de « Hat-Ouaret
» (Avaris) dont ils refirent les fortifications et qu’ils prirent pour capitale.
L’on admet généralement que la domination des Hyksos en Egypte ne fut
pas la conséquence d’une invasion soudaine du pays par les armées d’une
nation asiatique isolée. Ce fut, comme nous l’avons dit, le résultat d’une
infiltration, durant les dernières années de la XIIIe dynastie, de groupes
appartenant à plusieurs peuples, surtout sémitiques, du Proche-Orient. En
effet, la plupart de leurs rois portaient des noms sémites tels que Anat-Her,
Semken, Amou ou Jakoub-Her.
2.1.13 Le Nouvel Empire, Egypte
(1580-1085 avant notre ère)
La XVIIIe dynastie
Le roi Ahmosis I, salué par la postérité comme le père du Nouvel Empire
et le fondateur de la XVIIIe dynastie, fut de toute évidence d’une vigueur
et d’une capacité exceptionnelles. Son fils Aménophis I lui succéda ; digne
successeur de son père, il dirigea avec vigueur la politique intérieure aussi
bien que la politique extérieure. Quoique plus préoccupé sans doute par l’organisation
de l’empire que par les conquêtes, il trouva cependant le temps de
consolider et d’étendre la conquête de la Nubie jusqu’à la IIIe Cataracte. La
Palestine et la Syrie ne bougèrent pas pendant les neuf années de son règne.
Aménophis I semble avoir mérité sa réputation de grandeur qui fut à son
apogée lorsque l’on fit de lui et de sa mère les divinités tutélaires de la nécropole
thébaine31. Ses successeurs furent Thoutmosis I et Thoutmosis II, puis
la reine Hatshepsout qui épousa successivement chacun de ses deux demi
frères, Thoutmosis II et Thoutmosis III. Toutefois, au cours de la cinquième
année de son règne, Hatshepsout fut assez puissante pour pouvoir se déclarer
chef suprême du pays. Pour légitimer ses prétentions32, elle fit savoir que
son père était le dieu national Amon-Rê qui se présenta à la mère de la reine
sous les traits du père de celle-ci, Thoutmosis I. Les vingt années de son
règne pacifique furent prospères pour l’Egypte. Elle s’attacha tout particulièrement
aux affaires intérieures du pays et à la construction de grands édifices.
Les deux réalisations dont elle fut le plus fière furent l’expédition au pays
de Pount et l’érection de deux obélisques flanquant le temple de Karnak.
Toutes deux devaient témoigner de sa dévotion à son « père » Amon-Rê.
2.1.14 La XIXe dynastie, Egypte
Horemheb était issu d’une lignée de nobles provinciaux d’une petite ville
de Moyenne-Egypte. Sa longue carrière de maréchal de l’armée égyptienne
et d’administrateur lui donna l’occasion de mesurer la corruption politique
qui s’était dangereusement accrue depuis le début du règne d’Akhnaton.
Il lança rapidement une vaste série de réformes qui furent salutaires pour
le pays. Il promulgua également un décret pour hâter le recouvrement du
revenu national et mettre un terme à la corruption des fonctionnaires militaires
et civils.
Horemheb témoigna d’une faveur particulière à l’égard d’un officier du
nom de Ramsès qu’il nomma vizir et choisit comme son successeur au trône.
Mais c’était déjà un vieillard et il ne régna que deux ans. Après lui, vint son
fils et co-régent, Séthi I, premier d’une lignée de guerriers qui concentrèrent
tous leurs efforts pour redonner à l’Egypte son prestige à l’extérieur. Dès que
Séthi I monta sur le trône, il eut à faire face à la dangereuse coalition de différentes
cités syriennes, encouragées et même soutenues par les Hittites. Il eut
la chance de pouvoir attaquer la coalition, la vaincre et redonner à l’Egypte la
possibilité de reprendre le contrôle de la Palestine.
2.1.15 La XXe dynastie, Egypte
A la mort de Mineptah, il y eut une lutte dynastique et le trône fut
occupé par cinq souverains plus ou moins éphémères dont l’ordre de
succession et le degré de parenté n’ont pas encore été établis avec une
certitude raisonnable. L’ordre fut rétabli par Sethnakht qui occupa le
trône pendant trois ans et fut le premier roi de la XXe dynastie. Son fils
Ramsès III lui succéda et, au cours d’un règne de plus de trente et un
ans, s’employa à faire renaître, alors qu’il était déjà bien tard, la gloire
du Nouvel Empire. Au cours des cinquième et onzième années de son
règne, il infligea une défaite décisive aux hordes d’envahisseurs venues
de Libye occidentale et, au cours de la huitième, fit battre en retraite les
Peuples de la Mer, venus en masse ordonnée par mer et par terre. Il est
significatif que ces guerres furent toutes trois défensives et eurent lieu,
à part l’unique expédition sur terre contre les Peuples de la Mer, aux
frontières de l’Egypte, ou même à l’intérieur du pays. Une seule défaite
eût signifié la fin de l’histoire de l’Egypte en tant que nation, car il ne
s’agissait pas là de simples attaques militaires lancées dans un but de
pillage ou de domination politique, mais de véritables tentatives d’occupation
du riche Delta et de la vallée du Nil par des nations entières
de peuples avides de terres, comprenant les combattants, leurs familles,
leurs troupeaux et leurs biens.
2.1.16 Dynasties XXI à XXIV, Egypte
Au cours de la XXIe dynastie, le pouvoir fut partagé, d’un commun accord,
entre les princes de Tanis dans le Delta41 et la dynastie de Hérihor à Thèbes.
A la mort de ce dernier, Smendès, qui gouvernait le Delta, semble avoir
exercé son autorité sur tout le pays. Cette période vit l’épanouissement
d’une nouvelle puissance, une famille d’origine libyenne, venue du Fayoum.
Il se peut qu’à l’origine ils aient été des mercenaires qui s’étaient établis
là quand l’Egypte abandonna l’Empire42. Toutefois, l’un des membres de
cette famille, appelé Sheshonq, réussit à s’emparer du trône d’Egypte et à
fonder une dynastie qui dura environ deux cents ans.
Vers la fin de la XXIIe dynastie, l’Egypte se trouva irrémédiablement
divisée en petits Etats rivaux et menacée à la fois par l’Assyrie et par un puissant
Soudan indépendant. Pourtant, un homme du nom de Pédoubast réussit
à asseoir une dynastie rivale. Bien que Manéthon appelle dynastie tanite
cette XXIIIe dynastie, les rois n’en continuèrent pas moins à porter les noms
des pharaons de la XXIIe dynastie : Sheshonq, Osorkon et Takélot. Sous ces
deux dynasties, l’Egypte maintint des relations pacifiques avec Salomon à
Jérusalem qui épousa même une princesse égyptienne. Pourtant, au cours de
la cinquième année du règne du successeur de Salomon, Sheshonq attaqua
la Palestine. Bien que l’Egypte n’ait pas cherché à conserver la Palestine,
elle regagna un peu de son ancienne influence et bénéficia d’un commerce
extérieur développé.
La XXIVe dynastie ne comprend qu’un seul roi, Bakenrenef, que les
Grecs appelaient Bocchoris, fils de Tefnakht. C’est probablement ce dernier
qui signa un traité avec Hoshen de Samarie contre les Assyriens. Bocchoris
entreprit de soutenir le roi d’Israël contre le roi assyrien Sargon II, mais son
armée fut battue à Raphia en -720. Son règne prit fin quand le roi du Soudan
Shabaka envahit l’Egypte.
La XXVe dynastie
ou dynastie soudanaise43
Aux alentours de – 720, il y eut une nouvelle invasion de l’Egypte, mais cette
fois venue du sud. D’une capitale située près de la IVe Cataracte, Peye, un
Soudanais qui gouvernait le Soudan entre les Ire et ...
La suite dans les sources de l'Unesco...
2.1.17 La dynastie saïte, Egypte
L’Egypte fut libérée de la domination assyrienne par un Egyptien du nom
de Psammétique. En – 658, il réussit avec l’aide de Gygès de Lydie, et des
mercenaires grecs, à détruire tous les vestiges de la suzeraineté assyrienne,
et à fonder une nouvelle dynastie, la XXVIe. Les rois de cette dynastie
furent plus ou moins des hommes d’affaires qui s’efforcèrent courageusement
de redresser la situation de l’Egypte en contribuant à la prospérité
commerciale du pays. La Haute-Egypte devint le grenier où s’accumulait la
production agricole que vendait la Basse-Egypte.
2.1.18 La période perse, Egypte
Sous le règne de Psammétique III, les Egyptiens durent subir la conquête
de leur pays par les Perses dirigés par Cambyse ; avec cette occupation,
l’histoire de l’Egypte comme puissance indépendante s’acheva pratiquement.
La XXVIIe dynastie comprit des rois perses. La XXVIIIe dynastie
fut celle d’Amyrtée, dynaste local qui fomenta une révolte durant le règne
tourmenté de Darius II. Grâce à des alliances avec Athènes et Sparte, les
rois des XXIXe et XXXe dynasties réussirent à conserver l’indépendance
ainsi conquise pendant une soixantaine d’années.
La seconde domination perse en Egypte commença sous Artaxerxès III
en – 341. Alexandre y mit rapidement fin en envahissant l’Egypte en – 332,
après avoir battu les Perses à la bataille d’Issos.
2.1.19 L'artisanat de l'Egypte ancienne,
L’artisanat
La contribution de l’ancienne Egypte dans le domaine de l’artisanat apparaît
dans le travail de la pierre comme nous venons de le voir, mais aussi de
la métallurgie, du bois, du verre, de l’ivoire, de l’os et de nombreux autres
matériaux. Les anciens Egyptiens, après avoir découvert les diverses ressources
naturelles du pays, procédèrent à leur extraction et perfectionnèrent
peu à peu les techniques. Celles de l’agriculture et de la construction, d’une
nécessité vitale pour la communauté, exigeaient la fabrication d’outils de
pierre et de cuivre tels que haches, ciseaux, maillets et herminettes. Ces
outils étaient façonnés avec une grande habileté pour satisfaire aux diverses
exigences de l’architecture et de l’industrie, comme le percement de trous
ou la fixation des blocs. Ils fabriquaient également des arcs, des flèches,
des poignards, des boucliers et des bâtons de jet. Pendant longtemps, et
même à l’époque historique, outillage et armement, hérités de l’époque
néolithique, resteront surtout lithiques. Les falaises calcaires qui bordent
le Nil sont riches en silex de grande taille et d’excellente qualité, que les
Egyptiens continuèrent à utiliser longtemps après l’apparition du cuivre et
du bronze. Au demeurant, très souvent le rituel religieux exigeait l’emploi
d’instruments de pierre, ce qui contribua beaucoup au maintien des techniques
de taille de la pierre, et en particulier du silex.
Pour l’outillage métallique, le fer n’ayant pratiquement pas été utilisé
avant l’extrême fin de l’époque pharaonique, les techniques métallurgiques de
l’Egypte se ramènent à celles de l’or, de l’argent, du cuivre et de ses alliages,
bronze et laiton. On a retrouvé au Sinaï des traces de l’exploitation et du traitement
du minerai de cuivre par les Egyptiens ; de même en Nubie, à Bouhen,
où les pharaons de l’Ancien Empire disposaient de fonderies pour le cuivre.
Au Sinaï, comme en Nubie, les Egyptiens travaillaient en collaboration
avec les populations locales et les techniques utilisées pour le traitement du
métal purent donc facilement passer d’un domaine culturel à l’autre. C’est
peut-être à cette occasion que, d’une part, l’écriture pharaonique par le
truchement de l’écriture protosinaïtique, qu’elle influença, put jouer un rôle
important dans l’invention de l’alphabet, et que, d’autre part, la métallurgie
du cuivre put se répandre largement en Afrique nilotique d’abord, puis
au-delà.
2.1.20 Egypte sous domination Romaine
Rome, de l’alliance à la domination sur l’Égypte
Le passage de l’Egypte de la domination ptolémaïque à celle de Rome s’effectua
pratiquement sans secousses. Depuis longtemps les rapports entre
Alexandrie et Rome avaient été marqués par une cordialité qui remontait à
l’époque de Ptolémée Philadelphe. Celui-ci le premier avait signé un traité
d’amitié et envoyé une ambassade à Rome en – 273. Un demi-siècle plus
tard, Ptolémée Philopator avait maintenu sa bienveillance envers Rome
pendant la guerre avec Hannibal (– 218/– 201). Rome à son tour avait sauvé
l’indépendance égyptienne lors de l’invasion d’Antiochus III en – 168.
Toutefois, après cette prise de position, la République avait pratiquement
acquis la possibilité et l’habitude d’un contrôle dans les affaires égyptiennes
qui ne se montra que trop ouvertement dans les dernières années du
royaume des Ptolémées. Les intrigues entre Cléopâtre VII (– 51/– 30) et les
généraux romains avaient eu probablement pour but de leur faire épouser
les intérêts de son royaume, mais son soutien inconditionnel à Marc Antoine
lui valut enfin la perte définitive du trône au moment où son ami fut vaincu
par Octavien (– 31).
2.1.21 La Nubie et son importance
Un simple coup d’oeil sur une carte générale, physique, de l’Afrique suffit
à montrer l’importance de la Nubie pour les rapports de l’Afrique centrale,
celle des Grands Lacs et du bassin congolais, avec le monde méditerranéen.
Parallèle en grande partie à la mer Rouge, la vallée du Nil, en creusant le
« Couloir » nubien entre le Sahara à l’ouest et le désert arabique ou nubien
à l’est, met en prise directe, si l’on peut dire, les vieilles civilisations du bassin
de la Méditerranée avec celles du monde noir. Ce n’est pas un hasard si
une admirable tête en bronze d’Auguste a été trouvée à Méroé, à moins de
200 km de Khartoum.
Certes, si la route ainsi créée par le Nil permet la traversée sûre d’une
des régions désertiques du monde, elle n’est toutefois pas aussi aisée qu’elle
pourrait sembler de prime abord. Les « cataractes », d’Assouan aux environs
d’Omdurman, gênent considérablement la remontée du Nil du nord vers
le sud ; elles peuvent même interrompre complètement la navigation. Par
ailleurs, les boucles du fleuve allongent beaucoup la route ; elles peuvent
elles aussi constituer un obstacle sérieux, comme entre Abou Hamed et le
ouadi el-Milk, lorsque le cours du Nil, de sud-nord qu’il était, tourne vers
le sud-ouest. Courants et vents dominants s’unissent alors pour s’opposer
pendant une grande partie de l’année à la remontée des bateaux vers le
sud ; on remarquera toutefois qu’ils favorisent la descente vers la Méditerranée.
Plus au sud, enfin, la région des grands marécages des « Sudds »,
sans être impénétrable, ne facilite cependant pas les échanges culturels ou économiques.
2.1.22 La nubie à partir de - 2300
partir de – 2300, pour autant que l’archéologie permette de l’entrevoir,
la population du Couloir nubien se répartit en plusieurs « familles »
très proches les unes des autres, distinctes cependant, à la fois par la culture
matérielle : céramique, types des instruments, armes et outils utilisés, et
par le rituel observé lors des enterrements : types de tombes, répartition du
mobilier funéraire à l’intérieur et à l’extérieur de la sépulture, etc. Toutefois,
les ressemblances sont beaucoup plus nombreuses que les divergences :
importance de l’élevage, emploi général de la céramique rouge à bord noir,
sépultures du type « tumulus », etc.
D’Assouan au Batn-el-Haggar (cf. carte) les populations du Groupe C
restent, de – 2200 à – 1580, en contact étroit avec l’Egypte, soit que celle-ci
administre directement la région, de – 2000 à – 1700 environ, soit que, de
– 1650 à – 1580, de nombreux Egyptiens vivent à demeure dans le pays, sans
doute au service du nouveau royaume de Koush (cf. ci-dessous et chap. 9),
tout en gardant des liens avec la région thébaine dont ils proviennent, contribuant
ainsi à la diffusion des idées et des techniques égyptiennes.
Plus au sud, à partir du Batn-el-Haggar, commence le domaine du
royaume de Kerma, du nom du centre le plus important retrouvé à ce jour (cf.
chap. 9).
La civilisation de Kerma ne diffère de celle du Groupe C que par
des détails. Le matériel archéologique découvert dans les rares sites fouillés
témoigne de liens étroits non seulement avec l’Egypte, mais également, à
partir de – 1600, avec les Hyksos asiatiques qui ont eu avec elle des contacts
directs, semble-t-il.
Il est assez facile de déterminer la limite nord de la zone administrée
directement par les populations « Kerma », elle s’établit dans le Batn-el-
Haggar. En revanche, il est beaucoup plus malaisé d’en préciser la limite
sud. Des trouvailles récentes (1973) de poterie Kerma au sud de Khartoum,
entre Nil Bleu et Nil Blanc, sembleraient indiquer que, sinon le royaume
de Kerma lui-même, du moins son influence s’étendait jusqu’à la Gezira
actuelle. Il aurait donc été en contact direct avec le monde nilotique des
Sudds (cf. carte).
2.1.23 La période du groupe A, la nubie
Vers la fin du IVe millénaire avant notre ère florissait en Nubie une culture
remarquable appelée par les archéologues culture du Groupe A1. Les outils
de cuivre (les plus anciens outils de métal trouvés à l’heure actuelle au Soudan)
et les poteries d’origine égyptienne exhumées des tombes du Groupe
A montrent que l’épanouissement de cette culture fut contemporaine de la
Ire dynastie en Egypte (– 3100). Cette culture est désignée par une simple
lettre parce qu’elle ignorait l’écriture, qu’on n’a trouvé d’allusions à elle
dans aucune culture possédant une écriture et qu’on ne peut l’associer à
aucun lieu précis de découverte ni aucun centre important. Ce fut néanmoins
une période de prospérité, marquée par une augmentation considérable
de la population.
Des découvertes archéologiques appartenant certainement au Groupe A
ont été faites jusqu’à présent en Nubie, entre la Ire Cataracte au nord et Batnel-
Haggar (le Ventre de pierres) au sud. Mais on a aussi trouvé des poteries
semblables à celles du Groupe A à la surface de divers sites plus au sud, au
Soudan septentrional. Une tombe située près du pont d’Omdurman2 a fourni
un pot qui est impossible à distinguer d’un autre pot trouvé à Faras dans une
tombe du Groupe A3.
2.1.24 La fin du Groupe A, la Nubie
Au Groupe A, qui a probablement survécu en Nubie jusqu’à la fin de la IIe
dynastie d’Egypte (– 2780), succéda une période de pauvreté et de déclin
culturel très net, qui dura depuis le commencement de la IIIe dynastie
d’Egypte (– 2780) jusqu’à la VIe dynastie (– 2258). Elle a donc été contemporaine
de la période connue en Egypte sous le nom de période de l’Ancien
Empire8. La culture trouvée en Nubie pendant cette période a été appelée
Groupe B par les premiers archéologues qui ont travaillé dans cette région.
Ils estimaient que la Basse-Nubie, pendant la période de l’Ancien Empire égyptien, était habitée par un groupe distinct du Groupe A qui l’avait
précédé9.
Cette hypothèse, que certains savants10 continuent de tenir pour valable11
a été rejetée par d’autres12 et l’existence du Groupe B est maintenant généralement
considérée comme douteuse13.
La persistance des caractéristiques du Groupe A dans les tombes attribuées
au Groupe B montre qu’il est plus probable que c’étaient simplement
des tombes du peuple du Groupe A appauvri, à un moment où sa culture
était sur le déclin. Les nouvelles caractéristiques propres au Groupe B et par
lesquelles il diffère de son prédécesseur peuvent n’avoir été que le résultat
du déclin général et de la pauvreté. La cause de ce déclin peut être cherchée
dans les activités hostiles répétées de l’Egypte contre la Nubie après l’unification
de la première et sa transformation en un Etat fort et centralisé sous
un souverain unique.
2.1.25 La période du groupe C, la Nubie
Vers la fin de l’Ancien Empire d’Egypte26 ou pendant la période appelée par
les égyptologues la Première Période Intermédiaire (– 2240 – 2150)27 apparut
en Nubie une nouvelle culture indépendante (avec des objets caractéristiques
et des rites funéraires différents), appelée par les archéologues le Groupe C.
Analogue à son prédécesseur le Groupe A, cette culture était aussi chalcolithique.
Elle dura dans cette partie de la vallée du Nil jusqu’au moment où
la Nubie fut complètement égyptianisée, au XVIe siècle avant notre ère. La
limite nord de la culture du Groupe C se trouvait au village de Koubanieh
nord, en Egypte28 ; la frontière sud n’est pas encore connue avec certitude,
mais on a trouvé des restes de cette culture vers le sud jusqu’à Akasha, à la
limite la région de la IIe Cataracte, ce qui fait qu’il est probable que cette
frontière du Groupe C était quelque part dans la région de Batn-el-Haggar.
On ne sait encore rien de certain sur les affinités ethniques du Groupe C
ni sur l’origine de sa culture.
2.1.26 Kerma (– 1730 – 1580), de la Nubie à l'Egypte
Kerma (– 1730 – 1580)
Comme nous l’avons déjà vu, la frontière sud du Moyen Empire égyptien
avait incontestablement été fixée à Semneh par Sésostris III. Mais les importantes
fouilles de l’archéologue américain G.A. Reisner entre 1913 et 1916 à
Kerma, un peu en amont de la IIIe Cataracte et à 240 km à vol d’oiseau au
sud de Semneh, ont révélé une culture, appelée culture de Kerma, dont les
spécialistes ont donné des interprétations divergentes.
2.1.27 Le royaume deKoush, Egypte
Le royaume de Koush
Comme le nom géographique de Koush est lié à Kerma58 et comme les
tumulus de Kerma montrent clairement qu’ils servaient à la sépulture de
puissants rois indigènes qui avaient des relations diplomatiques et commerciales
avec les rois Hyksos en Egypte, il semble plus vraisemblable
que Kerma était la capitale de Koush. Ce royaume a connu son ère de
prospérité à l’époque appelée, dans l’histoire de l’Egypte, Deuxième
Période Intermédiaire (– 1730 – 1580). L’existence de ce royaume, dont le
souverain était appelé « Prince de Koush », est attestée par plusieurs documents.
La première stèle de Kamose59 le dernier roi de la XVIIe dynastie
égyptienne et probablement le premier roi qui ait dressé la bannière de
la lutte organisée contre les Hyksos, décrit la situation politique dans la
vallée du Nil à cette époque. Elle montre l’existence d’un royaume indépendant
de Koush, dont la frontière nord était fixée à Eléphantine, d’un
Etat égyptien, dans la Haute-Egypte, entre Eléphantine au sud et Cusae
au nord et enfin du royaume Hyksos en Basse-Egypte. Une autre stèle60
nous apprend que Kamose intercepta sur la route des oasis un message
envoyé par Apophis, le roi Hyksos, « au Prince de Koush », demandant son
aide contre le roi égyptien. En outre, deux stèles découvertes à Bouhen
montrent que deux fonctionnaires nommés Sepedher61 et Ka62 étaient au
service du « Prince de Koush ». Le royaume de Koush, qui comprit toute la
Nubie au sud d’Eléphantine après la chute du Moyen Empire en Egypte
(à la suite de l’invasion Hyksos), s’écroula quand Thoutmosis I conquit la
Nubie au-delà de la IVe Cataracte.
2.1.28 culture Kerma, Nubie à l'Egypte
La culture de Kerma
Les sites typiques de la culture de Kerma découverts en Nubie ne vont pas
plus loin au nord que Mirgissa63 ce qui indique que la IIe Cataracte était la
frontière entre la culture Kerma et la culture du Groupe C.
Caractéristiques de la culture Kerma sont une poterie tournée fine et très
polie, rouge avec un haut noir, des vases en forme d’animaux ainsi que
d’autres décorés de dessins d’animaux, des poignards spéciaux en cuivre,
du bois travaillé et décoré de figures incrustées en ivoire et des figures et
ornements de mica cousus sur des chapeaux de cuir. Bien qu’une grande
partie des objets découverts à Kerma montre sans aucun doute une tradition
culturelle indigène, on ne peut pas ignorer l’influence des techniques
et de l’artisanat égyptiens64. On a avancé qu’une grande partie de ces objets
avaient été fabriqués par des artisans égyptiens65, mais on peut aussi penser
qu’ils ont été faits suivant le goût local par des artisans indigènes qui avaient
appris les techniques égyptiennes.
Dans le domaine religieux, ce sont les rites funéraires qui caractérisent la
culture de Kerma. La tombe de Kerma est marquée par un tumulus de terre
en forme de dôme bordé par un cercle de pierres noires parsemées de galets
blancs. Un des grands tumulus du cimetière de Kerma (K III) consistait en
murs de briques formant un cercle de 90 mètres de diamètre66. Deux murs
parallèles qui traversaient le tumulus d’est en ouest en son milieu formaient
un couloir central qui le divisait en deux sections. Un grand nombre de
murs parallèles partaient à angle droit des deux côtés de ce couloir jusqu’à
la circonférence du cercle vers le nord et le sud. Au milieu du mur sud du
couloir, une porte ouvrait sur un vestibule conduisant vers l’est à la chambre
principale de la sépulture. A Kerma, le principal personnage enterré reposait
sur un lit, couché sur le côté droit. Sur ce lit étaient posés un oreiller de bois,
un éventail en plumes d’autruche et une paire de sandales.
2.1.29 De nubie à l'Egypte, nouvel Empire - 1580 - 1050
Le nouvel Empire (– 1580 – 1050)
Quand les Egyptiens se furent réinstallés après avoir complètement libéré
leur pays des Hyksos, ils recommencèrent à tourner leur attention vers leur
frontière sud, et ce fut le commencement de la conquête la plus complète
de la Nubie par l’Egypte depuis le début de son histoire ancienne.
La première stèle du roi Kamose, déjà mentionnée, explique comment
Kamose était situé entre un roi en Basse-Egypte et un autre dans le pays
de Koush. Elle déclare aussi que ses courtisans étaient satisfaits de l’état de
choses sur la frontière sud de l’Egypte puisque Eléphantine était fortement tenue...
2.1.30 De nubie à l'Egypte XVIII e dynastie
La Nubie sous la XVIIIe dynastie
Nous savons par une inscription rupestre entre Assouan et Philae, datée de
la première année du règne de Thoutmosis II70, qu’il y eut une révolte en
Nubie après la mort de Thoutmosis I. D’après cette inscription, un messager
arriva pour apporter à Sa Majesté la nouvelle que Koush avait commencé à
se révolter et que le chef de Koush et d’autres princes établis plus au nord
conspiraient ensemble. Elle nous apprend aussi qu’une expédition avait été
envoyée et la révolte matée. Après cette expédition punitive, la paix fut
restaurée et solidement établie en Nubie pour de nombreuses années.
Tout le règne de Hatshepsout, qui succéda à Thoutmosis II, connut la
paix. Le monument le plus important de l’époque de cette reine en Nubie
est le temple magnifique qu’elle bâtit à Bouhen à l’intérieur des murs de la
citadelle du Moyen Empire71.
2.1.31 De nubie à l'Egypte, XIX e dynastie
La Nubie sous la XIXe dynastie
A partir de l’époque d’Akhnaton, la position de l’Egypte s’affaiblit continuellement
à l’intérieur et à l’extérieur. Akhnaton était un rêveur et son
mouvement religieux fit beaucoup de tort à l’Empire. En outre, les pharaons
qui lui succédèrent furent des faibles, complètement incapables de
trouver des solutions aux problèmes de l’époque. Le malaise avait envahi
tout le pays. Il y avait tout lieu de craindre une guerre civile ouverte et
le pays était menacé par une anarchie générale. A ce moment critique,
l’Egypte eut la chance de trouver un libérateur en la personne d’un général
nommé Horemheb, qui était un chef capable et expérimenté. Pendant le
règne de Toutankhamon, Horemheb parcourut la Nubie en qualité de chef
de l’armée pour vérifier la loyauté de l’administration après la restauration
de l’ancien régime79. Quand il usurpa le trône d’Egypte, il fit une seconde
apparition en Nubie. Bien que ce voyage, d’après les inscriptions sur les
murs de son temple commémoratif creusé dans le roc à Silsila en Haute-
Egypte, ait été une expédition militaire, il semble qu’il se soit agi plutôt
d’une simple visite de l’usurpateur qui voulait s’assurer de sa position dans
une région d’importance vitale pour lui en Egypte. En tout cas, Horemheb
s’assura la loyauté de l’administration égyptienne de Nubie, comme le montre
le fait que Aser, vice-roi de la Nubie sous le règne précédent, continua à
occuper le même poste sous Horemheb.
Ramsès I (– 1320 – 1318), qui succéda à Horemheb, fut le véritable fondateur
de la XIXe dynastie. Pendant la seconde année de son règne, il érigea une stèle...
2.1.32 De nubie à l'Egypte, fin du nouvel empire...
Fin du Nouvel Empire
Par suite de ses richesses et aussi de la puissance de ses troupes, la Nubie
commença vers la fin du Nouvel Empire à jouer un rôle important dans
les affaires politiques intérieures de l’Egypte elle-même. Le désordre, la
faiblesse, la corruption et les luttes pour le pouvoir ont caractérisé cette
époque en Egypte. Ceux qui prenaient part à ces luttes, comprenant pleinement
l’importance de la Nubie pour leurs entreprises, s’efforçaient de
gagner le soutien de son administration. Le roi Ramsès-Siptah de la XIXe
dynastie alla lui-même en Nubie, pendant la première année de son règne,
pour nommer Séti vice-roi de Nubie93. Son délégué apporta des cadeaux
et des récompenses aux hauts fonctionnaires de Nubie. Mineptah-Siptah,
le dernier roi de la XIXe dynastie, fut même obligé d’envoyer un de ses
fonctionnaires pour rapporter le tribut de la Nubie94, ce qui figurait parmi
les devoirs du vice-roi de Nubie quand le pharaon avait un pouvoir réel sur
l’ensemble de son empire.
Pendant la XXe dynastie, la situation se détériora considérablement en
Egypte. y eut une conspiration du harem sous Ramsès III (– 1198 – 1166),
visant à le déposer. Parmi les conspirateurs, il y avait la soeur du commandant
des archers de Nubie, qui prit contact avec son frère pour qu’il lui
prête son concours dans l’exécution du complot. Mais il est évident que
le vice-roi de Nubie resta fidèle au pharaon. Sous Ramsès XI, le dernier
roi de la XXe dynastie, une révolte éclata dans ...
2.1.33 Axe pré axounite, axoum, Ethiopie
Les régions septentrionales de l’Ethiopie, qui devaient émerger de la
préhistoire vers le Ve siècle avant notre ère, ne semblent pas avoir connu
auparavant une forte densité de population. Leurs premiers habitants nous
sont encore très mal connus ; les rares indices recueillis permettent de dire
que l’évolution des groupes humains n’y diffère guère de celle du reste de
la Corne de l’Afrique.
Durant les dix derniers millénaires avant l’ère chrétienne, les vestiges
d’outillage lithique s’intègrent dans les industries du Late Stone Age d’Afrique
australe. Pendant cette période, on devine l’existence de peuples pastoraux,
qui ont dessiné leur bétail sans bosse et à longues cornes sur les parois rocheuses
depuis le nord de l’Erythrée jusqu’au pays de Harrar ; leurs troupeaux sont
semblables à ceux qui étaient élevés à la même époque au Sahara et dans le
bassin du Nil. Il y a eu très tôt des relations avec le monde égyptien.
Sur le plan linguistique, il ne faut pas négliger non plus l’élément
koushitique, correspondant à un fonds local, qui commence à se manifester
dans d’autres domaines ; en effet, des découvertes récentes à Gobedra, près
d’Axoum (Phillipson, 1977), révèlent l’apparition de la culture du millet et
de l’usage de la céramique au IIIe ou IVe millénaire ; à côté des activités pastorales,
se serait donc développée dès cette époque une agriculture spécifiquement
éthiopienne. Ces techniques nouvelles seraient liées à un mode de
vie plus sédentaire, qui créait des conditions plus favorables à l’élaboration
d’une civilisation plus évoluée.
Si la fondation de la cité d’Axoum et l’avènement d’une dynastie royale
axoumite peuvent être situés au IIe siècle de l’ère chrétienne...
2.1.34 Période sud arabisante, Ethiopie...
Période sud-arabisante
C’est la période où « l’influence sud-arabique s’exerce fortement sur
l’Ethiopie du Nord ». Cette influence se traduit surtout par la présence en
Erythrée et dans le Tigré de monuments et d’inscriptions, qui sont apparentés
à ceux que connaît l’Arabie du Sud à l’époque de la suprématie du
royaume de Saba. Ces parallèles sud-arabiques sont datés, grâce aux études
paléographiques et stylistiques de J. Pirenne, des Ve et IVe siècles avant
notre ère, chronologie qui a été adoptée par l’ensemble des spécialistes de
ce domaine de recherche6. On admet généralement que ces dates s’appliquent
également aux trouvailles faites en Ethiopie, mais l’hypothèse émise
par C. Conti-Rossini d’un décalage entre les deux rives de la mer Rouge...
2.1.35 Période intermédiaire, Ethiopie (avant axoum)
Période intermédiaire
L’affirmation d’une culture locale ayant assimilé les apports étrangers se fait
beaucoup plus forte dans la seconde période pré-axoumite qui a été appelée
période intermédiaire.
2.1.36 Civilisation Axoum, Ethiopie
Suivant les sources de base, l’histoire du royaume d’Axoum s’étend sur
près d’un millénaire à partir du Ier siècle de notre ère. Elle enregistre un
certain nombre d’événements majeurs tels que trois interventions armées
en Arabie du Sud aux IIIe IVe et VIe siècles, une expédition à Méroé au IVe
siècle, et, au cours de la première moitié de ce même siècle, l’introduction
du christianisme.
Une vingtaine de rois, dont la plupart ne sont connus que par les monnaies
qu’ils ont émises, se sont succédé sur le trône d’Axoum. Parmi eux,
les noms d’Ezana et de Caleb (ou Kaleb) brillent d’un éclat particulier.
D’autres monarques ont aussi leurs noms conservés par les traditions que
les siècles ont léguées. Ces traditions, fâcheusement, comportent une grande
part d’incertitude. Le plus anciennement attesté de ces rois est Zoskalès que
mentionne un texte grec de la fin du Ier siècle. Ce nom correspond-t-il au
Za-Hakalè des listes royales traditionnelles ? La question reste ouverte.
Les sources de renseignements sur la civilisation axoumite sont de nature
diverse. Elles comprennent des passages d’auteurs anciens depuis Pline qui
fait état d’Adoulis jusqu’aux chroniqueurs arabes, Ibn ḥischac, Ibn Hischam
et Ibn ḥawḳal. Ces textes sont en général peu explicites. L’essentiel de la
documentation est naturellement fourni par l’épigraphie locale et le matériel
archéologique que le développement de la recherche accroît au fil des années.
Peu nombreuses, les inscriptions ont été rassemblées dès le XIXe siècle. De
grands textes d’Ezana, gravés dans la pierre, se rangent au nombre des plus
importantes. Naguère, la découverte de nouvelles inscriptions d’Ezana, de
Caleb et d’un de ses fils (Waazeba), en grec, en guèze et en pseudo-sabéen...
2.1.37 L’aire axoumite, Ethiopie
Le territoire axoumite, selon le repérage de l’archéologie, s’inscrit dans
un rectangle vertical de 300 km de longueur et de 160 km de largeur très
approximativement. Ce rectangle est compris entre 13 et 17 degrés de latitude
Nord, 38 et 40 degrés de longitude Est. Il s’étend de la région au nord
de Keron jusqu’à l’amba Alagui au sud, d’Adoulis, sur la côte, jusqu’aux
parages de Takkazé, à l’ouest. Addi-Dahno est pratiquement le dernier site
connu de ce côté, à une trentaine de kilomètres d’Axoum.
2.1.38 Epoque proto-axoumite, Ethiopie
Époque proto-axoumite
Le nom d’Axoum apparaît pour la première fois dans le Périple de la mer
Erythrée, guide maritime et commercial composé par un marchand originaire
d’Egypte. L’ouvrage date de la fin du Ier siècle. Ptolémée le Géographe, au
IIe siècle, indique également le site.
Le Périple fournit aussi des informations sur Adoulis, aujourd’hui un lieu
ensablé, à quelque cinquante kilomètres au sud de Massaoua. Il précise que
c’est « un gros village d’où il y a trois jours de voyage jusqu’à Koloè, une
ville de l’intérieur et le principal marché de l’ivoire. De cette place à la cité
du peuple appelé les Axoumites, il y a cinq jours de voyage de plus. C’est
là qu’est apporté tout l’ivoire de la contrée au-delà du Nil à travers la région
appelée Cyenum et de là, il va à Adoulis ». Ce village était donc le débouché
d’Axoum, notamment pour l’ivoire. Le texte dit qu’on y fournissait aussi la
corne de rhinocéros, l’écaille de tortue et l’obsidienne. Ce sont des articles qui
d’ailleurs figurent au nombre des exportations que Pline signalait déjà avant
l’auteur du Périple à propos du commerce d’Adoulis dont le nom est ainsi
mentionné antérieurement à celui d’Axoum.
2.1.39 Kohaito, de l'Egpte à l'Ethiopie...
Au nord de Matara, à une altitude de 2600 m, ce lieu offre au regard de
nombreux vestiges architecturaux. Une dizaine de tertres sur une assez
large superficie conservent des restes de constructions importantes de la
fin de la période axoumite et, la chose ne semble pas faire de doute, des
ruines plus anciennes. Plusieurs piliers se dressent aujourd’hui encore sur
ces tertres. On pense que pour la plupart ils appartenaient à des églises aux
dimensions proches de celles de Matara. Sur tous les monticules les murs
présentent l’appareil axoumite et un ordonnancement rectangulaire pareil
à ceux des autres sites de l’époque. Sept de ces ensembles se distinguent
aisément. Outre ces ruines d’édifices, au nord-nord-ouest, un barrage de
pierres fait de blocs parfaitement ajustés en rangées régulières était destiné
à retenir l’eau au sud-est d’un bassin naturel communément appelé « bassin
de Safra ». Long de 67 m, ce barrage a une hauteur de 3 m environ dans sa
section centrale. A cet endroit, deux séries de pierres saillantes en marches
d’escalier constituaient un dispositif qui permettait l’accès du haut du barrage
à la nappe d’eau.
Ailleurs, vers l’est, un tombeau à puits aménagé dans le rocher comporte
deux chambres ou caveaux funéraires. Une croix de type axoumite sculptée
en creux dans la roche orne une des parois du tombeau.
Dans un ravin proche du site, la roche est peinte et gravée de figures
représentant des boeufs, des chameaux, etc.
2.1.40 L'architecture axoumite, Ethiopie...
L’achitecture Axoumite
L’emploi de la pierre, le plan carré ou rectangulaire, l’alternance systématique
de parties saillantes et de parties rentrantes, l’élévation en gradins
des soubassements sur lesquels se dressent les grands édifices, un type de
maçonnerie sans mortier autre que de terre, tels sont les traits principaux
de l’architecture axoumite. A quoi s’ajoute ce caractère remarquable : une
reproduction généralisée de ces traits distinctifs. On a noté déjà que cette
constance des formules architecturales s’étend à tous les édifices majeurs,
qu’ils soient religieux ou non. Des édifices sont bâtis sur les mêmes socles à
gradins. Des escaliers monumentaux, de sept marches dans beaucoup de cas,
y donnent accès. Des dépendances les encadrent par-delà des courettes.
On peut tenir pour assuré que les châteaux et villas comportaient un
étage au-dessus du rez-de-chaussée qu’il serait préférable d’ailleurs d’appeler
étage, compte tenu de sa sur-élévation. A considérer l’exiguïté des pièces
de ce premier étage, encombrées de piliers et de poteaux, il est probable
que les véritables salles d’habitation se trouvaient à l’étage supérieur. Une
question est de savoir si les grands châteaux d’Axoum avaient plusieurs
étages. Au début du siècle, l’architecte de la mission allemande tenta une
reconstitution. Le dessin du monument de Enda-Michael présente aux
angles du pavillon des tours de quatre étages. A peu près rien ne subsistant
de cet édifice (aujourd’hui moins encore qu’en 1906), il n’est pas facile
de juger du bien-fondé de la tentative, mais si l’on observe la nature de
la maçonnerie telle que les photos et dessins la montrent, telle aussi que
d’autres monuments la font connaître — des murs sans grande épaisseur que
la maçonnerie de pierres liées par un simple mortier de terre rendait d’une
stabilité précaire —, il semble permis de douter que Enda-Michael, comme
d’ailleurs les autres châteaux, ait comporté plus de deux étages. Peut-être
certains d’entre eux, de solidité spéciale, en possédaient-ils trois, ce qui est
douteux.
2.1.41 Axoumites, la langue, Ethiopie
L’écriture et la langue des Axoumites
Le plus ancien alphabet utilisé en Ethiopie dès le Ve siècle avant notre ère,
est de type sud-arabique. Il transcrit une langue proche parente des dialectes
sémitiques de l’Arabie méridionale.
L’écriture des Axoumites est différente de cette écriture sud-arabique.
Elle en dérive cependant.
Les premiers témoins de l’écriture éthiopienne proprement dite apparaissent
au cours du IIe siècle de l’ère chrétienne. Ils présentent une forme
consonantique. Les caractères conservent encore un aspect sud-arabique,
mais ils évoluent progressivement vers des formes particulières.
2.1.42 Les protoberbères, Afrique du Nord
Avant l’arrivée des Phéniciens sur les côtes d’Afrique au début du premier
millénaire avant notre ère, les composantes ethniques des populations
libyennes étaient à peu près fixées. Elles ne devaient pas varier sensiblement
pendant toute la période antique, car du point de vue quantitatif, il
ne semble pas que les apports démographiques phénicien et romain aient
été importants. En effet, l’apport démographique phénicien en Afrique
mineure ne peut être évalué avec précision. Toutefois, il est probable que
Carthage n’aurait pas eu recours de façon si constante à des mercenaires sur
les champs de bataille, si les Carthaginois de souche phénicienne avaient
été nombreux. L’apport démographique romain est également difficile à
apprécier. On a évalué à 15 000 le nombre des Italiens qui furent installés
en Afrique à l’époque d’Auguste qui fut celle de la colonisation la plus
intense1. Il faut ajouter à ce chiffre quelques milliers d’Italiens qui se fixèrent
en Afrique de leur propre initiative. A notre avis, on ne dépasse guère
20 000 personnes pour l’époque d’Auguste. L’Afrique romaine ne fut en
aucune manière une colonie de peuplement. Quant aux apports démographiques
vandale et byzantin, ils furent assurément encore beaucoup plus
modestes.
2.1.43 La vie des Berbères, avant Carthage, afrique du nord
La vie des Berbères avant la fondation de Carthage
Ce ne sont pas les Phéniciens qui ont révélé aux Libyco-Berbères l’agriculture,
comme l’ont souligné à juste titre H. Basset58 et G. Camps59. Ceux-ci
la pratiquaient en effet depuis la fin du Néolithique. Supposer que les
Cananéens importèrent l’agriculture en Afrique mineure au cours du second
millénaire avant notre ère est une hypothèse très aventurée. Des gravures
et peintures de l’âge des métaux représentent plus ou moins schématiquement
un araire à la Cheffia (Est constantinois) et dans le Haut-Atlas60.
A l’ouest de Tebessa, dans la région du douar Tazbent, des quadrillages
constituent de nos jours les vestiges d’installations hydrauliques primitives
très antérieures à l’époque des royaumes indigènes. Les utilisateurs de ces
installations avaient un outillage encore partiellement lithique.
Alors que les Phéniciens allaient introduire en Afrique mineure une
charrue à soc de fer triangulaire, les Berbères usaient déjà d’un type original
de charrue, d’ailleurs moins efficace, consistant en une simple pioche en
bois traînée et maintenue dans le sol61. Cette charrue avait dû mettre fin à
l’usage exclusif de la houe, puisque les Guanches, utilisateurs de la houe, ne
connurent pas la charrue, Il semble qu’à l’origine les Libyens tiraient souvent
eux-mêmes leur charrue au moyen de cordes passées autour de leur épaules.
Mais ils connaissaient aussi depuis fort longtemps l’attelage des boeufs, qui
est représenté sur les fresques égyptiennes comme sur les gravures du Haut-
Atlas. En revanche, ils ne paraissent pas avoir usé avant l’époque punique
de machine à dépiquer62 : ils se contentaient de faire piétiner l’aire par le gros
bétail.
Les botanistes ont établi que le blé dur (venu peut-être d’Abyssinie) et
l’orge63 existaient en Afrique du Nord bien avant l’arrivée des Phéniciens,
ainsi que la fève et le pois-chiche64, bien que ce dernier tire son nom berbère
ikiker du latin cicer.
2.1.44 Periode de Carthage, afrique du nord
L’entrée du Maghreb dans l’histoire écrite débute avec le débarquement sur
ses côtes de marins et de colons venus de Phénicie. Il est d’autant plus difficile
de reconstituer l’histoire de cette époque que presque toutes les sources
d’information sont grecques ou romaines et que, pendant la plus grande partie
de cette période, les Grecs et les Romains n’ont eu de pires ennemis que
les Phéniciens de l’Ouest, notamment ceux qui étaient placés sous l’autorité
de Carthage. C’est ce qui explique pourquoi l’image que nous en donnent
Athènes et Rome est si négative. Rien ne subsiste d’une littérature carthaginoise
malgré les progrès enregistrés au cours des deux dernières décennies ; la
contribution archéologique est également limitée, car, dans la plupart des cas,
les établissements phéniciens sont ensevelis sous des villes romaines beaucoup
plus imposantes. Nous disposons d’un nombre important d’inscriptions sous
diverses versions de la langue phénicienne, mais il s’agit surtout d’inscriptions
votives ou d’épitaphes tombales qui nous livrent peu d’informations.
Le développement des civilisations libyennes autochtones antérieurement
au IIIe siècle avant notre ère1 reste, à un certain degré, obscur lui aussi.
Le Néolithique de tradition capsienne se prolonge très avant dans le premier
millénaire avant notre ère et peu de vestiges peuvent être attribués à un
Age du bronze distinct. Aussi, l’histoire archéologique du premier millénaire
se caractérise-t-elle par une évolution lente et continue, où les influences
phéniciennes deviennent de plus en plus marquées, à peu près à partir du IVe siècle.
2.1.45 Les premiers phéniciens, afrique du nord
Les premiers établissements phéniciens
Selon la tradition antique, Tyr fut le point de départ des expéditions
vers l’ouest lancées par les Phéniciens, qui conduisirent à la fondation de
nombreux établissements. La Bible, entre autres sources, confirme la prééminence
de Tyr sur les autres villes phéniciennes durant la période qui
suivit, au Proche-Orient, l’écroulement des civilisations de l’Age du bronze
(XIIIe siècle). A partir de l’an 1000 environ, Tyr et les autres cités (Sidon et
Byblos, par exemple) devinrent les centres commerciaux les plus actifs de
la zone orientale de la mer Egée et du Proche-Orient et elles ne souffrirent
guère de la croissance de l’Empire assyrien. C’est la recherche de minerais,
particulièrement d’or, d’argent, de cuivre et d’étain, qui attira les marchands
phéniciens en Méditerranée occidentale. Cette recherche ne tarda pas à
les conduire en Espagne, qui devait demeurer l’une des grandes sources
de production d’argent en Méditerranée, même à l’époque romaine. Nous
devons à l’historien Diodore de Sicile (Ier siècle avant notre ère) une analyse
sans doute véridique de la situation générale qui régnait à l’époque.
2.1.46 Fondation de Carthage, afrique du nord
Fondation de Carthage
Le nom de Carthage (en latin, Carthago) est la traduction de « Kart
Hadasht » qui signifie en phénicien « ville nouvelle ». Cela peut laisser
supposer que, dès le départ, ce site fut destiné à devenir le principal établissement
phénicien de l’Occident mais les données archéologiques se
rapportant à ses origines sont trop incomplètes pour que nous puissions en
être certains. Selon la tradition, la ville fut fondée en 814, bien après Cadix
(1110) et Utique (1101). Ces deux dernières dates semblent légendaires.
Quant à la naissance de Carthage, les premières données archéologiques
incontestables datent du milieu du VIIIe siècle avant notre ère, soit deux
générations d’écart par rapport à la tradition. Aucun élément historique valable
ne peut être tiré des diverses légendes que les auteurs grecs et romains nous ont transmises sur la fondation de la cité.
2.1.47 l'hégémonie de Carthage, afrique du nord
L’hégémonie de Carthage
sur les Phéniciens de l’Ouest
C’est au VIe siècle avant notre ère que Carthage devint autonome et établit
sa suprématie sur les autres établissements phéniciens d’Occident, prenant
la tête d’un empire en Afrique du Nord dont la création devait avoir de profondes
répercussions sur l’histoire de tous les peuples de la Méditerranée
occidentale. Cette évolution avait été favorisée notamment par l’affaiblissement
de la puissance de Tyr et de la Phénicie, la métropole, qui tombèrent
sous le joug de l’empire babylonien. Mais un facteur plus déterminant
encore avait été, semble-t-il, la pression croissante exercée par les colonies
grecques de Sicile. Les plus importantes, comme Syracuse, avaient connu un
essor démographique et économique très rapide ; elles avaient été fondées
surtout pour absorber l’excédent de population dont souffrait la Grèce continentale.
Au VIIe siècle, il semble qu’aucun conflit important n’ait opposé les
Grecs aux Phéniciens, et l’on a retrouvé trace d’importations grecques dans
de nombreuses colonies phéniciennes du Maghreb. Mais en 580, la ville de
Selinus (Sélinonte) et d’autres populations grecques de Sicile tentèrent de
chasser les Phéniciens des établissements qu’ils possédaient à Motyé et à
Palerme. Carthage paraît avoir dirigé les opérations défensives contre cette
agression qui, en cas de succès, eût permis aux Grecs de menacer les villes
phéniciennes de Sardaigne et leur eût ouvert la route du commerce vers
l’Espagne, qui jusqu’alors leur avait été fermée. Ce succès consolida les
colonies phéniciennes de Sardaigne. C’est également au cours de ce siècle
que Carthage conclut une alliance avec les villes étrusques de la côte occidentale de l'Italie...
2.1.48 Expansion carthage en afrique du nord
A cette défaite succédèrent soixante-dix années de paix, durant lesquelles
Carthage évita d’entrer en conflit avec les Grecs, tout en parvenant cependant
à maintenir son monopole commercial. Fait plus important encore, elle
se préoccupa d’étendre ses territoires sur le sol africain. Cette politique fut
adoptée alors que les Carthaginois se voyaient de plus en plus isolés par
les succès des Grecs en Méditerranée, d’abord durant les guerres mediques
contre les Perses où les Phéniciens subirent de lourdes pertes, puis contre
les Etrusques en Italie. Il est possible que les Carthaginois aient cherché
à réduire leurs propres échanges commerciaux avec le monde grec : le
contenu des tombes datant du Ve siècle paraît assurément pauvre et austère
et l’on y a trouvé peu d’articles importés. Cela ne veut pas dire, cependant,
que toute la communauté carthaginoise s’était appauvrie, le contenu des
sépultures n’étant pas, en soi, un indice absolu du degré de richesse ou de
pauvreté. Cette nouvelle politique territoriale est associée à la dynastie des
Magonides, dirigée à cette époque par Hannon, fils d’Hamilcar, le vaincu
d’Himère dont, plus tard, l’historien grec, Dion Chrysostome, rapporte sommairement
que « de Tyriens, il transforma les Carthaginois en Africains ».
Bien que la superficie des territoires conquis au Ve siècle et le nombre
des colonies ayant atteint la dimension de villes même modestes restent mal
connus, le maximum de ce que Carthage a jamais contrôlé n’est pas loin d’être
atteint. Signalons la grande importance qu’eut la conquête de la péninsule
du cap Bon et d’un vaste territoire situé au sud de la ville, s’étendant au
moins jusqu’à Dougga, et englobant certaines des terres les plus fertiles de
Tunisie. C’est dans cette région que la colonisation romaine atteindra, plus
tard...
2.1.49 Empire de Carthage, Afrique du Nord (Lybie à Tunisie)
L’empire de Carthage
Carthage fut critiquée par ses ennemis pour le dur traitement et l’exploitation
auxquels elle soumettait ses sujets, qui étaient certainement répartis
en différentes catégories. Les plus privilégiés furent sans doute les vieux
établissements phéniciens et les colonies fondées par Carthage elle-même,
dont les habitants étaient appelés par les Grecs Liby-Phéniciens, c’est-à-dire
Phéniciens d’Afrique. Ces comptoirs semblent avoir calqué leur système
gouvernemental et administratif sur le modèle de Carthage (voir ci-après).
Ce fut le cas, nous le savons, de Gades (Cadix), de Tharros (Sardaigne)
et des Phéniciens de Malte. Ces villes étaient soumises au paiement de
taxes sur les importations et exportations, et elles durent parfois fournir des
contingents militaires. Il est probable aussi qu’elles aient en partie contribué
aux équipages de la flotte carthaginoise. Après 348, il semble qu’il leur
ait été interdit de commercer avec quiconque en dehors de Carthage. La
situation des sujets de Carthage en Sicile était affectée par la proximité des
cités grecques. Ils avaient droit à des institutions autonomes et battaient
monnaie dès le Ve siècle, à une période où Carthage elle-même n’en émettait
pas encore. Leur droit de commerce ne semble pas avoir subi de restriction
; comme plus tard, lorsque la Sicile tomba aux mains des Romains, ils
payaient un tribut égal à 10 % des bénéfices.
2.1.50 Commerce de Carthage et l'afrique de l'ouest (De Lybie à l'afrique de l'ouest)
L’Afrique de l’Ouest
Dans l’esprit des Grecs et des Romains, Carthage était tributaire du commerce
plus que toute autre cité, et l’idée qu’ils avaient du Carthaginois
typique était celle d’un négociant. En outre, Carthage passait à l’époque
pour la plus riche cité du monde méditerranéen. Cependant, il faut convenir
que ces échanges commerciaux et cette richesse supposée ont laissé à
l’archéologue bien peu de vestiges, nettement moins que dans le cas des
grandes villes étrusques et grecques de la même époque. Sans doute cela
tient-il avant tout au fait que le gros du commerce de Carthage consistait
en produits qui ne laissent pas de trace : principalement les métaux
à l’état brut qui, déjà, étaient le but essentiel des premiers navigateurs
phéniciens. Il faut y joindre les textiles, le trafic des esclaves et, à mesure
de la mise en culture des sols fertiles, les produits agricoles. Les échanges
avec les tribus arriérées, qui livraient de l’or, de l’argent, de l’étain et vraisemblablement
du fer (Carthage, on le sait, fabriquait ses propres armes)
contre des articles manufacturés sans valeur, rapportaient beaucoup à Carthage,
comme en témoignent les grandes armées de mercenaires qu’elle
put lever au IVe et au IIIe siècle, ainsi que la frappe de monnaies d’or qui
fut bien plus importante que dans les autres cités de développement comparable.
L’Etat dirigeait activement les grandes entreprises commerciales,
comme nous l’apprennent diverses sources, notamment celles qui concernent
l’Afrique occidentale. Selon Hérodote (Ve siècle), le pharaon égyptien
Nékao (vers 610 -594) envoya une expédition de marins phéniciens faire
le tour complet du continent africain en passant par la mer Rouge.
2.1.51 Guerre entre Carthage et rome, Afrique du Nord
La première guerre avec Rome
Ces conflits cependant furent mineurs par rapport aux bouleversements
qui allaient secouer l’Orient à la même époque quand Alexandre le Grand
fonda un empire qui s’étendait jusqu’à l’Inde. Mais Carthage n’allait pas
tarder à être engagée dans une lutte d’une importance historique et mondiale
au moins aussi grande : les guerres contre Rome. Un traité avait été
conclu entre les deux villes dès 508, alors que Rome ne constituait encore
qu’une des nombreuses communautés d’Italie de modeste dimension. En
348 fut signé un nouvel accord qui réglementait le commerce entre les deux
puissances ; mais bien que Rome fût devenue beaucoup plus puissante, le
traité avantageait nettement Carthage, du seul fait que le commerce romain
était négligeable. Au cours des décennies suivantes, Rome connut une
ascension foudroyante jusqu’à devenir la puissance dominante d’Italie. Les
intérêts propres aux deux puissances se rapprochèrent encore lorsqu’en 293
le vieil ennemi des Carthaginois, Agathoclès, mena campagne en Italie du
Sud. Quelques années plus tard, Pyrrhus, roi d’Epire, fut invité à venir en
Italie afin de libérer du joug romain les villes grecques du sud de la péninsule,
dont Tarente était le chef de file.
2.1.52 Hannibal et la seconde guerre avec Rome
En raison des difficultés économiques provoquées par la guerre, Carthage
dut différer le paiement des soldes dues aux mercenaires, dont la moitié
étaient des Libyens. Un soulèvement éclata en Afrique et fut marqué par
de féroces atrocités de part et d’autre. Quelque 20 000 mercenaires y prirent
part, sous la direction notamment de l’un de leurs chefs les plus capables,
un Libyen nommé Mathon. Carthage elle-même fut menacée et les rebelles
contrôlèrent à un moment donné Utique, Hippo Acra et Tunis. Ils étaient
assez bien organisés pour émettre leur propre monnaie sous le signe Libyon
(«de Libye ») en grec.
L’âpreté de la lutte, qui se termina en 237, confirme la cruauté avec
laquelle les Carthaginois traitaient les Libyens. A la même époque, les Romains
s’emparèrent de la Sardaigne sans coup férir, au moment où Carthage était
incapable de se défendre. L’esprit de revanche devant cette agression étouffa
sans doute la moindre opposition aux projets d’Hamilcar Barca, général qui
s’était naguère distingué en Sicile. Celui-ci entreprit d’établir sur l’Espagne
la domination directe de Carthage, qui jusqu’ici se limitait aux villes côtières.
L’objectif d’Hamilcar était double : d’une part, exploiter directement les mines
espagnoles de manière à compenser la perte des revenus de Sicile et, d’autre
part, lever dans ce pays des troupes qui pourraient tenir tête aux Romains.
En moins de 20 ans, Hamilcar et son gendre Hasdrubal conquirent plus de la
moitié de la péninsule ibérique et créèrent une armée de quelque 50 000 hommes.
En 221, Hasdrubal fut remplacé à la tête du nouvel empire d’Espagne par
le fils d’Hamilcar, Hannibal. Peu d’indices viennent étayer la thèse avancée
plus tard par les Romains, selon laquelle toute l’affaire fut un projet personnel
des Barcides (comme on appelait cette famille) qui auraient voulu se venger
de Rome et auraient agi sans l’accord du gouvernement de Carthage.
En 220,
Rome s’inquiéta de la renaissance des forces de Carthage et manoeuvra pour
empêcher celle-ci d’étendre ou de consolider sa puissance en Espagne.
Hannibal et son gouvernement rejetèrent les menaces romaines et estimèrent,
à la lumière de la politique d’aventure déjà suivie par les Romains en
246 et en 237, que la guerre était inévitable. En 218 Hannibal franchit l’Ebre
et se dirigea vers les Alpes pour descendre jusqu’en Italie. Cette stratégie
reposait sur l’idée que Rome ne pourrait être vaincue que sur son propre sol,
et que porter la guerre en Italie était nécessaire pour prévenir une invasion
de l’Afrique par les Romains, qui était possible puisque ceux-ci possédaient
désormais la maîtrise de la mer. Cette seconde guerre punique dura jusqu’en
202, avec cette fois encore, d’énormes pertes du côté romain. Grâce à son
génie militaire, Hannibal cimenta la cohésion d’une superbe armée où, aux
côtés de nombreux Espagnols, servaient également des contingents gaulois
et africains.
Le Carthaginois remporta de grandes victoires au lac Trasimène
(217) et à Cannes (216), la plus grande défaite que Rome eût jamais subie.
2.1.53 Numidie, Afrique du Nord
Massinissa et le royaume de Numidie
Carthage survécut encore durant un demi-siècle, mais cette période de
l’histoire du Maghreb fut marquée essentiellement par un développement
économique et social rapide de la plupart des tribus de la côte méditerranéenne.
Il y a là un paradoxe historique, car cette évolution, qui entraîna
une expansion sans précédent de la culture carthaginoise, fut principalement
due au pire ennemi de Carthage, Massinissa. Personnage légendaire,
d’une vigueur physique prodigieuse et comblé de dons naturels, celui-ci
avait été élevé à Carthage et il comprit fort bien, sans aucun doute,ce que
la civilisation de cette ville pourrait apporter à ses propres territoires. Son
individualité était si forte qu’après 206, au lieu d’être considéré comme un
simple déserteur par les Romains, il noua des liens d’amitié étroits avec
plusieurs de leurs hommes politiques les plus influents. En récompense
du rôle qu’il avait joué à Zama, il reçut la partie orientale — la plus fertile
— du royaume de Syphax, et il gouverna désormais, à partir de Cirta
(Constantine), un territoire qui s’étendait de l’ouest de cette ville jusqu’à
la nouvelle frontière de Carthage. (La région moins développée comprise
entre le royaume de Massinissa et la Malouya fut laissée au fils de Syphax).
Selon plusieurs écrivains de l’Antiquité, ce fut grâce à Massinissa que la
production agricole s’accrut notablement en Numidie. Strabon rapporte
qu’il transforma les nomades en cultivateurs. Comme toute généralisation,
celle-ci est exagérée, mais il est certain que les quantités de céréales disponibles
augmentèrent de façon sensible, laissant un surplus pour l’exportation,
même si l’élevage était encore l’activité dominante. Ces progrès furent
d’une grande importance pour le développement encore plus considérable
que le pays devait connaître ultérieurement sous la domination romaine. Le
commerce des autres produits restait limité, et les seules monnaies frappées
étaient des pièces de bronze et de cuivre. Cirta devint, semble-t-il, une véritable
cité (même s’il paraît exagéré de lui attribuer 200 000 habitants sous
le règne du fils de Massinissa, comme on l’a fait). Son archéologie est mal
connue, mais l’aspect de la ville dut être presque totalement carthaginois.
On y a trouvé des stèles puniques en plus grand nombre que dans aucun
autre établissement africain, à part Carthage elle-même. Il est hors de doute
que la langue carthaginoise devint alors de plus en plus usuelle en Numidie
et en Mauritanie.
2.1.54 Destruction de Carthage, afrique du nord
La destruction de Carthage
A cette époque, tout allié de Rome était en fait un vassal auquel il incombait
avant tout d’obéir à la volonté des Romains et de s’abstenir de toute action
dont ils pussent prendre ombrage, à tort ou à raison. La sagesse politique de
Massinissa nous est démontrée par la manière dont il comprit la situation.
Pendant cinquante ans, il s’efforça d’exercer une pression croissante sur les
possessions de Carthage, et sans doute espérait-il que finalement la ville
elle-même tomberait entre ses mains avec l’accord de Rome. Au début les
Romains n’avaient pas intérêt à affaiblir encore Carthage qui était devenue
vassale, et jusqu’en 170 les gains territoriaux du roi de Numidie restèrent
faibles. A partir de 167, cependant, Rome s’engagea dans une politique de
plus en plus agressive, en Afrique comme ailleurs ; elle favorisa donc Massinissa,
qui la poussait à se défier de Carthage, et qui d’autre part ne manquait
jamais de lui fournir des hommes et des approvisionnements quand
elle le lui demandait. Grâce à cette politique, Massinissa parvint à ajouter
à ses possessions les emporia (marchés) situés sur le golfe de Gabès et une
bonne partie de la vallée de la Bagradas (Mejerda).
Les sénateurs romains en arrivèrent peu à peu à penser, comme Caton l’Ancien, que « Carthage
devait être détruite ». En fait, quoique Carthage se fût remarquablement
bien relevée après la seconde guerre punique, toute crainte de la voir un
jour menacer Rome à nouveau était irrationnelle. Il fut proposé aux Carthaginois
soit d’abandonner leur ville pour se retirer dans l’intérieur, soit
d’affronter la guerre et ses conséquences. Comme ils adoptèrent ce dernier
parti, une armée romaine débarqua en Afrique en 149 ; malgré l’énorme
supériorité des assaillants, Carthage résista jusqu’en 146. Certains Libyens
continuèrent à lui prêter main forte, et Massinissa lui-même était peu satisfait
de l’initiative prise par Rome, qui le privait de son plus cher espoir ;
mais il dut s’incliner. La plupart des villes phéniciennes et carthaginoises
les plus anciennes — Utique, Hadrumète, Thapsus, etc. — se rallièrent aux
Romains, échappant ainsi à une destruction certaine. Carthage elle-même
fut rasée et son site fut déclaré maudit au cours d’une cérémonie solennelle
symbolisant la crainte et la haine que Rome avait accumulées depuis plus
d’un siècle vis-à-vis de la puissance qui s’était opposée le plus farouchement
à sa domination du monde méditerranéen.
2.1.55 Apres Carthage, la numidie, Afrique du Nord
Les états successeurs de Carthage
La Numidie
Cependant, il fallut attendre encore plus d’un siècle avant que Rome ne supplantât
véritablement Carthage en tant que puissance politique et culturelle
dominante au Maghreb. Pour diverses raisons (voir chapitre 20), les Romains
ne prirent possession que d’une petite partie de la Tunisie du Nord-Est
après la destruction de Carthage, et encore ne s’occupèrent-ils guère de ce
territoire. Dans le reste de l’Afrique du Nord, ils admirent parmi leur « clientèle
» une série de royaumes vassaux qui conservèrent de façon générale leur
autonomie interne. Dans ces diverses principautés, l’influence culturelle de
Carthage persista, et même s’accrut du fait que les anciennes colonies côtières
continuaient de prospérer et à la suite de l’arrivée de nombreux réfugiés
pendant les dernières années de la lutte entre Carthage et Rome. La forme
tardive de la langue phénicienne appelée « néo-punique » se répandit plus
largement que jamais.
On rapporte même que les Romains remirent aux rois
de Numidie les livres récupérés lors de la destruction des bibliothèques de
Carthage : peut-être certains de ces ouvrages, comme le traité d’agriculture
de Magon, présentaient-ils une valeur pratique. Aucun des monarques ultérieurs
ne fut aussi puissant que Massinissa, mais il fait peu de doute que,
pour l’essentiel, le développement des royaumes de Numidie et de Mauritanie
se poursuivit. Il convient de souligner que dans une certaine mesure le
nom de ces deux royaumes demeura une simple expression géographique,
puisque beaucoup de tribus qui y habitaient gardèrent longtemps leur identité
propre sous la domination romaine et même au-delà, tandis que l’unité
politique y restait précaire.
Cet état de choses fut aggravé par la polygamie
la période carthaginoise que pratiquaient les familles royales (Massinissa, dit-on, laissa dix fils qui lui
survécurent) et plus tard par l’intervention des Romains. Massinissa mourut
en 148 à l’âge de 90 ans environ ; il eut pour successeur Micipsa (148 -118),
sous le règne duquel le commerce de la Numidie avec Rome et l’Italie devint
plus actif ; il nous est rapporté que de nombreux négociants italiens vivaient à
Cirta. Après la mort de Micipsa, le royaume fut administré conjointement par
deux des frères de celui-ci et par Jugurtha, petit-fils de Massinissa, qui était
protégé par l’homme d’Etat romain Scipion Emilien, tout comme son aïeul
l’avait été par Scipion l’Africain. Jugurtha était doué d’une grande énergie et
il voulut prendre le pouvoir pour lui seul. Rome tenta d’abord de partager
officiellement le territoire ; cependant, quand Jugurtha eut enlevé la ville de
Cirta à l’un de ses rivaux et tué tous les résidents italiens, elle lui déclara
la guerre. Jugurtha organisa une résistance acharnée, tenant ses adversaires
en échec jusqu’à ce qu’il fût trahi et livré aux Romains par Bocchus, roi
de Mauritanie. Rome fit alors monter sur le trône un autre membre de la
famille de Massinissa, nommé Gauda, dont le fils et successeur Hiempsal
régna après avoir été un moment exilé par un rival (de 88 à 83) jusqu’en 60.
On sait qu’il fut l’auteur d’un livre sur l’Afrique rédigé en langue punique,
et il semble qu’il ait poursuivi l’oeuvre civilisatrice amorcée par sa dynastie.
Au cours des dernières années d’indépendance de la Numidie, celle-ci se
trouva mêlée aux guerres civiles qui provoquèrent la chute de la République
romaine. Le fils d’Hiempsal, Juba (60 -46) qui dans sa jeunesse avait été
publiquement insulté par Jules César, prit en 49 le parti de Pompée, auquel
il rendit de grands services en Afrique, à tel point qu’il devait, dit-on, être
placé à la tête de la province romaine d’Afrique si les partisans de Pompée
l’avaient emporté. Il se suicida après la victoire de César à Thapsus, et Rome
entreprit alors d’administrer directement la Numidie.
2.1.56 La mauritanie, empire apres Carthage, afrique du Nord
La Mauritanie
On admet en général que le royaume de Mauritanie s’est développé plus
lentement que la Numidie ; mais peut-être cette opinion est-elle due à un
manque d’informations. Il est clair que le massif montagneux de l’Atlas
resta fermé aussi bien à l’influence phénicienne que plus tard à la culture
romaine, mais la vie sédentaire se répandit quelque peu dans les régions
fertiles comme la vallée de la Moulouya et le long de la côte atlantique.
C’est dans les zones montagneuses que diverses tribus conservèrent leur
identité propre durant la domination romaine, et même au-delà. Le nom
des Maures est cité dès l’expédition de Sicile en 406, puis lors de la révolte
d’Hannon (après 350) et de l’invasion romaine de l’Afrique (256). Un roi
maure aida Massinissa à une époque critique de sa vie, mais des troupes
maures combattirent aussi sous les ordres d’Hannibal à Zama. Plus tard,
Bocchus Ier, après avoir aidé Jugurtha à lutter contre Rome, le trahit ensuite
et reçut en récompense un territoire assez vaste situé à l’est de la Moulouya.
A la génération suivante, la région semble avoir été partagée : Bocchus II,
qui gouvernait les territoires de l’est, combattit contre Juba avec le concours
d’un aventurier italien P. Sittius, au profit de César, lequel avait aussi l’ap500
afrique ancienne
pui de Bogud II, qui régnait à l’ouest de la Moulouya. L’un et l’autre de
ces monarques furent récompensés par César, et Bocchus élargit encore à
cette occasion ses possessions aux dépens de la Numidie. Quelques années
après, Bogud II, ayant pris parti pour Antoine dans la guerre civile romaine,
fut chassé de son territoire par Bocchus II, qui soutenait Octave. Bocchus
mourut en 33 et Bogud fut tué en 31 : toute la Mauritanie se trouva alors
sans maître, mais l’empereur Auguste décida que le moment n’était pas
venu pour Rome de gouverner directement le pays — peut-être craignait-il
que les « tribus » montagnardes n’y créent de graves difficultés militaires.
En 25, il plaça donc sur le trône Juba, fils du dernier roi de Numidie, qui
avait vécu dès l’âge de quatre ans en Italie, et pour lequel le royaume de
Numidie avait été temporairement reconstitué en 30 et 25. Juba gouverna
pendant plus de quarante ans en loyal « client » de Rome, et il accomplit
dans une certaine mesure en Mauritanie ce que Massinissa avait fait pour
la Numidie. C’était un homme aux goûts essentiellement pacifiques ; fortement
imprégné de culture hellénique, il avait écrit de nombreux livres
(aujourd’hui disparus) en grec. Sa capitale Iol, rebaptisée Caesarea (Cherchell),
et sans doute aussi sa seconde capitale Volubilis, devinrent sous son
règne de véritables villes. Son fils Ptolémée régna après lui jusqu’en 40 de
notre ère, date à laquelle l’empereur Gaius, qui l’avait convoqué à Rome,
le fit mettre à mort, pour un motif qui nous est inconnu. Cette mesure qui
préludait à la transformation de la Mauritanie en province romaine, déclencha
une révolte d’une durée de plusieurs années. En l’an 44 de notre ère,
la Mauritanie fut scindée en deux provinces, et l’ensemble du Maghreb se
trouva dorénavant sous la domination directe de Rome.
Professeur : P. Salama
2.1.57 La période romaine, Afrique du nord, Introduction
Après la destruction de Carthage en 146 avant notre ère et la réduction de
son territoire en province romaine, le sort de l’Afrique du Nord allait dépendre
désormais de Rome et des royaumes indigènes. Il aurait été souhaitable
de consacrer un chapitre particulier à l’étude de ces derniers, depuis l’avènement
des royaumes numides jusqu’à la disparition, en 40 de notre ère, du
dernier roi de Maurétanie. A partir de cette date, toute l’Afrique du Nord
devint romaine et le resta jusqu’à l’invasion vandale.
2.1.58 De rome à l'islam, afrique du nord, Introduction
Lorsque prit fin en Afrique du Nord la domination romaine, implantée,
suivant les régions, depuis quatre ou cinq siècles, la situation intérieure
présentait un visage complexe. Soulèvements régionaux, conflits religieux,
mécontentement social y créaient, certes, un climat dégradé, mais la solidité
de l’expérience administrative, comme le prestige de la culture latine,
garantissait à cette civilisation importée de nombreuses chances de survie.
Scindée en zones soumises ou indépendantes, selon les vicissitudes
des conquêtes étrangères ou des résistances locales, l’Afrique du Nord postromaine
et pré-islamique vécut alors une des périodes les plus originales de
son histoire.
2.1.59 Introduction fin préhistoire, afrique de l'ouest
L’une des conclusions principales des recherches archéologiques récentes
en Afrique subsaharienne est que des peuples contemporains les uns des
autres, ayant atteint des niveaux de développement technique trés différents,
ont vécu dans diverses parties de l’Afrique. L’Age de la pierre n’y
a pas connu de fin uniforme, les techniques agricoles ont été adoptées à
des périodes variables, et nombreuses sont les communautés auxquelles
nous nous intéressons dans les chapitres à venir qui vivaient encore de
chasse et de collecte, utilisant, jusqu’à la fin du premier millénaire de
notre ère, une technologie caractéristique de l’Age de la pierre. Aucune
société pourtant n’est restée statique et, dans la plupart des cas, des
contacts culturels très intenses existèrent en dépit de distances parfois
considérables. Paradoxalement, ces contacts furent singulièrement vifs à
travers ce que l’on pourrait croire être une barrière des plus impénétrables,
le désert du Sahara, et ils eurent un réel rôle unifiant pour l’histoire
de l’Afrique.
2.1.60 Informations archéologie, Afrique de l'ouest ancienne - péhistoire -
Informations fournies par l’archéologie
Il est impossible de s’arrêter à une date précise pour clore la période que
nous étudions, dans une aire pour laquelle nous ne disposons pas de dates
historiques sûres. Les dates connues nous sont le plus souvent fournies par
le carbone 14. Ces datations sont relativement sûres, mais la marge d’imprécision
pour la période qui nous concerne ici peut atteindre plusieurs.
Plutôt que de s’attacher à une date fixe pour la fin de cette période,
les chapitres sur l’Afrique subsaharienne traitent essentiellement de ce
que l’on appelle habituellement le « Néolithique » et le début de l’Age du
fer. La période ainsi définie se termine aux alentours de l’an 1000 dans
la plupart des régions. Le « Néolithique » est, en Afrique subsaharienne,
un terme que l’on a utilisé autrefois de manière vague, pour désigner un
certain type d’économie agricole.
Le terme sert aussi à opérer des distinctions
au sein d’ensembles d’instruments incluant des outils tranchants en
pierre polie ou taillée, des poteries, et souvent aussi des meules de divers
modèles. Il a souvent servi à ces deux fins à la fois. Les premières communautés
d’agriculteurs ne se ressemblaient pas nécessairement par l’utilisation
d’un jeu d’outils identiques.
Des fouilles récentes effectuées dans
maintes parties du continent ont établi à quel point des outils en silex
taillé pouvaient traverser les millénaires ; ils firent leur apparition pour la
première fois chez les chasseurs-collecteurs de diverses régions d’Afrique
il y a 7000 ou 8000 ans ; des pièces analogues étaient sans doute encore
utilisées dans certaines parties du bassin du Zaïre (Uelian) jusqu’à il y a
moins de mille ans peut-être. La poterie semble de même avoir été en
usage chez les chasseurs-cueilleurs vivant dans le voisinage d’agriculteurs
bien avant que ces nouveaux utilisateurs deviennent eux-mêmes agriculteurs.
Les meules qui se rencontrent pour la première fois en diverses
régions d’Afrique, dans des sites de la fin de l’Age de la pierre, illustrent
l’utilisation plus intensive des végétaux.
Lorsque nous parlons de début
de l’Age du fer, nous envisageons l’époque où l’on recourut durablement à
une technologie fondée sur le fer, au lieu d’employer des outils en fer de
loin en loin seulement. Dans l’ensemble, le début de l’Age du fer correspond,
en Afrique subsaharienne, à l’apparition d’établissements à effectifs
faibles, relativement dispersés, et non à la naissance d’Etats qui n’ont vu
le jour qu’à la fin de l’Age du fer1.
Il faut déplorer que nous en sachions si peu sur le type physique des
habitants de l’Afrique au sud du Sahara. Il est certain qu’en Afrique occidentale
des peuples présentant des traits physiques similaires à ceux de ces
habitants actuels vivaient déjà dans ces contrées dès le dixième millénaire
avant notre ère (Iwo-Eluru au Nigéria), et furent appelés « proto-négrides »2.
Des fragments de squelettes négrides ont aussi été décrits tant dans le Sahara
qu’aux confins du Sahel et attribués à des périodes aussi reculées que le cinquième
millénaire avant notre ère3. En Afrique australe, les ancêtres de nos
contemporains, les chasseurs-collecteurs Khoïsans et des pasteurs-éleveurs
de Namibie et du Botswana (San et Khoï-Khoï), étaient plus grands de taille
que leurs descendants et vivaient dans des régions aussi septentrionales
que la Zambie, pour certains d’entre eux, voire dans le bassin de la rivière
Semliki dans l’est du Zaïre. On en a des preuves de choix en provenance
des sites de Gwisho, en Zambie, où les panoplies d’outils, ainsi que le
régime alimentaire que l’on peut en inférer, font ressortir clairement que les
peuples en question étaient des ancêtres des San ; à un détail près : la taille
moyenne de ce groupe d’il y a 4000 ans était plus élevée que celle des San
actuels qui vivent immédiatement à l’ouest dans le Botswana.
Des fouilles
effectuées essentiellement dans le Rift, au Kenya, ont produit certains restes
de squelettes datant du sixième millénaire avant notre ère. Leakey (1936)
les a identifiés comme plus proches des types physiques de la zone éthiopienne,
que de ceux des populations bantuphones ou de langue nilotique.
Mais ces études sont vieilles de près d’un demi-siècle et le dossier aurait
dû être rouvert de longue date. Des travaux de biogénétique dus à Singer
et Weiner5 ont prouvé que les San et les négrides sont plus proches les uns
des autres qu’ils ne le sont de n’importe quel autre groupe extérieur, ce qui
donne à penser qu’ils sont les descendants directs des occupants premiers
de l’Afrique à l’Age de la pierre.
Ils ont aussi mis en valeur l’homogénéité
biologique des populations africaines de l’Afrique occidentale à l’Afrique du
Sud ; Hiernaux, dans une étude pénétrante et très complète des données
génétiques connues à présent, le plus souvent grâce à la généralisation de
la recherche médicale en Afrique, a souligné le caractère composite de la
plupart des populations africaines, ce qui atteste bien l’ampleur et la longue
durée des brassages physiques et culturels dont le continent fut le théâtre au
sud du Sahara. Seules les régions reculées, telles que le milieu forestier des
Pygmées au Zaïre, ou celui des San dans le Kalahari, abritent des populations
d’un type sensiblement différent, et les raisons de ces particularités doivent
être recherchées dans leur isolement génétique. Dans des régions comme
les confins du Sahel, le pourtour de l’Afrique au nord-est et Madagascar, on
observe des croisements entre des populations noires et d’autres, indépendamment
de celles du sud telles que les Malayo-Polynésiens à Madagascar,
et des peuples proches de ceux du pourtour méditerranéen ou de l’Asie du
Sud-Ouest, installés en Afrique du Nord-Est et au Sahara.
2.1.61 Afrique orientale avant le 7eme siècle
Il est plus aisé de connaître la situation, en Afrique orientale, des peuples
et des sociétés après + 100 que pour les périodes plus anciennes. Pour
ces dernières, beaucoup de recherches sont en cours, dont les résultats
amènent à modifier, au fur et à mesure, tout ou partie des conclusions
antérieures.
L’enquête sur les deux millénaires (– 1000 à + 1000) est difficile. Elle
réclame des méthodes très affinées et une grande quantité d’informations
que l’archéologie est loin d’avoir, aujourd’hui, toutes rassemblées.
L’étude qui suit est donc, sur plus d’un point, conjecturale, hypothétique,
voire « provocante », et a pour but de stimuler la réflexion et la recherche.
La méthode à laquelle on aura recours pour aborder l’histoire ancienne
de l’Afrique de l’Est sera essentiellement culturelle ; nous tenterons de
recréer le ou les modes de vie autant que pourront le permettre l’ensemble
des témoignages archéologiques, anthropologiques et linguistiques. Nous
aurons fréquemment recours aux groupes linguistiques. Il se peut qu’ils
soient, en soi, moins importants que des considérations culturelles et économiques
plus larges. Néanmoins, le langage est un élément de la culture
et de l’histoire, un élément transmis (malgré d’incessantes modifications)
de génération en génération dans une même communauté ; c’est un moyen
grâce auquel les populations s’identifient clairement en tant que groupes et
se distinguent les unes des autres. (Ces « autres » peuvent être considérés
comme apparentés, d’une certaine manière, pour peu que les langues soient
partiellement comprises, ou qu’elles présentent certains traits communs ; ou
inversement, s’il n’est aucune parenté évidente, ils peuvent être considérés
comme complètement étrangers.) C’est en grande partie pour ces raisons
que les définitions linguistiques et les classifications des populations offrent
généralement aux anthropologues et aux historiens un maximum de clarté
et de commodité. Celles dont il est question dans ce chapitre sont précisées
dans la carte et le tableau qu’on trouvera ci-contre. Elles s’inspirent généralement
du schéma reproduit dans Zamani1, fondé sur la classification des
langues africaines de Greenberg.
2.1.62 la civilisation de la chasse, Savane australe Afrique australe
La civilisation de la chasse
dans la savane australe
D’un bout à l’autre des savanes et de la forêt claire qui recouvrent la plus
grande partie de l’Afrique à l’est et au sud de la grande forêt équatoriale,
la population, pendant de nombreux millénaires avant l’Age du fer, était
essentiellement constituée de chasseurs-collecteurs, utilisant l’arc, la flèche
et les techniques avancées du travail de la pierre (principalement celles de
la grande culture « wiltonienne » des archéologues — voir volume I). Ces
populations appartenaient généralement à un type dont les descendants
sont, de nos jours, les Khoi Khoi et les San, qui habitent le Kalahari et ses
alentours. Leur langue se classerait parmi celles de la famille khoisane,
qui se distingue par ses « clicks ». Actuellement ces langues se limitent
aux Khoi et aux San de l’Afrique du Sud et du Sud-Ouest, ainsi qu’à deux
petits groupes indépendants de l’Afrique orientale, vivant dans le nord de la
Tanzanie centrale, les Sandawé et les Hadza2.
Les Hadza en sont restés au stade de la cueillette et de la chasse. Peu
nombreux, doués d’une mobilité relative, ils sont experts dans l’art de repérer
et de se procurer les ressources alimentaires sauvages existant sur leur
territoire3. Depuis quelque temps, les Sandawé cultivent la terre et élèvent
des chèvres et du gros bétail ; mais ils gardent un attachement culturel pour
la brousse et conservent un sens instinctif de ses possibilités. Par leur type
physique général, ces deux « tribus » sont noires.
Toutefois, certains spécialistes estiment avoir retrouvé chez les Sandawé,
et peut-être aussi chez les Hadza, des traces d’une autre ascendance ;
un métissage avec les populations noires voisines expliquerait un glissement
dans cette dernière direction.
Il est non moins intéressant de noter que, contrairement au reste de
l’Afrique orientale, le territoire des Hadza et des Sandawé, de même que
celui qui les sépare, offre de nombreux spécimens de peintures rupestres.
2.1.63 civilisation aquatique, afrique moyenne
La civilisation aquatique
de l’Afrique moyenne
Cette question si longtemps méconnue a été examinée dans le précédent
volume de cette Histoire 5. Il suffit donc ici d’étudier l’évolution finale de
cet intéressant mode de vie.
Vers – 5000, le climat était devenu sensiblement plus sec. Alimentées
par des rivières moins nombreuses et de moindre débit, les eaux des lacs
étaient descendues très au-dessous des cotes maximales antérieures. Ainsi
afrique ancienne
la continuité géographique et, par endroits, les fondements économiques
du mode de vie aquatique étaient-ils menacés. Les jours de son hégémonie
culturelle étaient révolus. Cependant aux alentours de – 3000, le climat
redevint pour un temps humide et, par voie de conséquence, les niveaux
des lacs recommencèrent à monter (sans atteindre, toutefois, les cotes du
VIIIe millénaire).
Au Kenya, dans la Rift Valley orientale, il y eut, à cette
époque, une résurrection d’une culture aquatique modifiée sans doute
par suite de nouvelles migrations, de nouveaux contacts avec le Moyen et
le Haut-Nil. On a découvert, au-dessus des lacs Rodolphe et Nakuru, des
vestiges de cette phase aquatique récente. Ils comprennent des poteries de
style original et des bols de pierre peu profonds. Ils semblent généralement
dater de – 3000. Malgré l’absence apparente de harpons dans les sites de
cette période, il paraît certain que les populations s’adonnaient à la pêche.
Mais il est vraisemblable que le régime était moins résolument aquatique
que lors de la phase principale antérieure de quelque trois à cinq mille ans.
Vers – 2000, parallèlement au retour de la tendance à l’aridité, les possibilités
d’une culture aquatique furent définitivement anéanties dans la plus grande
partie de la Rift Valley orientale.
Il semble que la population de cette dernière phase aquatique ait été,
elle aussi, fondamentalement noire. Nous manquons de données indiscutables
sur sa langue. Mais il est raisonnable de penser qu’elle appartenait à
l’une ou l’autre des branches de la famille Chari-Nil (branche orientale du
Nilo-Saharien).
On s’attendrait à ce que la grande civilisation aquatique, qu’il s’agisse
de la phase principale (entre – 8000 et – 5000) ou de son renouveau (aux
environs de – 3000), se retrouve le long des rivières et des marais du bassin
du Haut-Nil, en particulier sur les rives du plus grand lac de l’Afrique
orientale, le Victoria Nyanza. Curieusement, les vestiges semblent manquer
pour les millénaires en question.
Cependant, au cours du premier millénaire
avant notre ère, des hommes ont campé sur les îles et dans des abris sous
roche ou en rase campagne sur les bords du lac et des rivières de la région.
Ils se nourrissaient de poissons et de mollusques, mais aussi de gibier de la
brousse et peut-être de bovins et de moutons. On ne sait si certains d’entre
eux cultivaient la terre ; mais on a observé des traces intéressantes de coupes
effectuées à l’époque dans la forêt entourant le lac Victoria, ce qui indique
tout au moins une forme nouvelle et relativement intensive d’utilisation des
terres. Connue sous le nom de « Kansyoré », la céramique de ces populations
présente quelques affinités marquées avec les poteries bien plus anciennes
de la première civilisation aquatique, les poteries « à ligne sinueuse de pointillés
». Pour autant qu’on le sache, il y a longtemps que ces poteries avaient
été remplacées par d’autres dans la vallée du Nil ; il est donc peu probable
que les types « Kansyoré » n’aient été introduits dans la région du lac Victoria
qu’au premier ou second millénaire avant notre ère. La tradition aquatique
remonte à plusieurs millénaires ici comme ailleurs, mais il est plus vraisemblable
que tout ce qui est considéré comme lui appartenant ne concerne que
sa phase la plus récente, celle qui a périclité juste avant l’Age du fer.
2.1.64 La civilisation pastorale des Couchites (afrique ancienne de l'est à l'ouest)
En effet, tandis qu’un régime climatique plus sec s’établissait aux environs
du IIe millénaire avant notre ère, les eaux des lacs commençaient à baisser
jusqu’à atteindre, approximativement, leur niveau actuel (dans certains cas
les poissons disparurent), les forêts cédaient elles aussi du terrain, faisant
place, surtout dans la Rift Valley orientale et sur les plateaux avoisinants,
à d’excellents pâturages de montagne. Bien qu’on pût toujours pêcher sur
les rives du lac Victoria et de plusieurs autres lacs et rivières, et préserver
ainsi certains des éléments de l’ancien mode de vie aquatique, cette civilisation
avait désormais perdu sa grande continuité géographique et l’assurance
culturelle qui s’y rattachait auparavant. Dans la plus grande partie de
l’Afrique moyenne et spécialement vers son extrémité orientale, le prestige
s’attachait désormais à l’élevage : continuer à vivre près des eaux et grâce
à elles était considéré comme rétrograde et comme un signe de stagnation
intellectuelle. Ce n’était pas seulement un mode de vie archaïque ; c’était,
aux yeux des groupements pastoraux plus favorisés, barbare et impur. Les
premiers pasteurs de l’Afrique orientale se reconnaissaient non seulement à
leur langue couchitique et à l’importance qu’ils accordaient à la circoncision,
mais aussi à l’interdit dont ils frappaient le poisson.
Depuis longtemps dans cette zone de l’Afrique de l’Est où l’herbe est
de bonne qualité et pousse en quantité suffisante, épargnée en outre par la
mouche tsé-tsé et les maladies endémiques, le bétail est objet de prestige et signe de richesse ; mais il importe de comprendre que cette idéologie du
bétail est fondée sur un sens aigu des réalités économiques. Le bétail est
dispensateur de viande et, surtout, de lait.
Même chez les populations qui tirent de leurs champs la plus grande partie de leur alimentation, le bétail est
une importante source de protéines ainsi qu’une assurance contre les famines
qu’engendrent périodiquement la sécheresse ou d’autres fléaux. En outre, il
convient de ne pas sous-estimer le rôle important des chèvres et des moutons
qui sont généralement les principaux fournisseurs de viande des populations
qui vivent à la fois d’agriculture et d’élevage...
2.1.65 La civilisation Bantu, afrique ancienne
La civilisation Bantu : l’agriculture et l’utilisation du fer
Tandis que, pendant le Ier millénaire avant notre ère, le pastoralisme et le
tabou du poisson dont il était accompagné donnaient leur marque distinctive
aux Couchites dans l’une des zones de l’Afrique orientale, le travail et l’utilisation
du fer caractérisèrent les Bantu au cours du millénaire suivant. On
sait encore mal comment et d’où leur est venue cette notion : ce problème
est examiné au chapitre 21. Beaucoup plus important que cette question de
l’origine est le fait évident que les premiers Bantu dépendaient du fer et
étaient considérés comme le peuple détenteur des secrets de sa métallurgie.
Des populations plus anciennes de l’Afrique orientale n’en avaient sans
doute pas eu connaissance. Elles fabriquaient leurs outils et leurs armes à
l’aide de pierres qu’elles travaillaient selon des techniques remontant à la
plus haute Antiquité. Dans la zone couchitique, la Rift Valley orientale, par
exemple, est heureusement dotée de gisements d’une pierre exceptionnelle,
l’obsidienne (roche volcanique opaque) dont on pouvait facilement tirer
d’excellentes lames de différentes tailles propres à toutes sortes d’usages, y
compris les pointes de lance et probablement les couteaux de circoncision.
Les communautés contemporaines mais distinctes qui vivaient autour du lac
Victoria, et chez lesquelles la tradition aquatique s’était en partie conservée,
étaient moins favorisées que celles de la Rift Valley en ce qui concerne les
pierres qu’elles pouvaient utiliser ; néanmoins, elles ont réussi à fabriquer
des outillages perfectionnés à partir du quartz, du silex noir et d’autres pierres
faciles à tailler. Il en était de même, plus au sud, chez les chasseurs de la
savane. Chez toutes ces populations, le premier contact avec des étrangers
pratiquant une technologie du fer a dû causer un choc intellectuel.
L’expansion principale des Bantu fut à la fois rapide et étendue, et ne
s’est pas faite par phases progressives comme l’ont soutenu certains auteurs.
Mais ce ne fut pas davantage un vagabondage de nomades errants, ni une
entreprise de conquête militaire.
2.1.66 La civilisation, les nilotes (afrique ancienne)
Les Nilotes : adaptation et changement
Outre les Bantu, un autre groupe linguistique, ou plus exactement, plusieurs
séries de groupes linguistiques apparentés de loin, ont occupé une grande
partie de l’Afrique orientale pendant l’Age du fer. Ce sont les Nilotes. Si
leurs caractéristiques physiques diffèrent à bien des égards de celles des
Bantu, les Nilotes sont très nettement des Noirs. Il est cependant exact que
les populations de langue nilotique, qui ont pénétré le plus profondément à
l’est et au sud dans l’ancienne zone couchitique du Kenya et de la Tanzanie
septentrionale, ont assimilé une partie de la population « éthiopoïde » antérieure
— ce qui permet d’expliquer les traits originaux des groupements
itunga, masaï, kalenjin et tatoga d’aujourd’hui, populations jadis classées
comme « Nilo-chamites ». Leur ascendance couchitique partielle se manifeste
aussi dans leur héritage culturel — mais différemment selon les groupes.
Il en est résulté de très nombreux emprunts aux langues couchitiques.
Leurs langues cependant demeurent foncièrement nilotiques13.
On ne sait rien de précis sur la proto-histoire des Nilotes. Cependant, la
répartition et les relations internes de leurs trois rameaux actuels indiquent
que leur patrie d’origine se situerait dans les basses prairies du bassin du
Haut-Nil et sur les rives de ses lacs et de ses cours d’eau. On peut imaginer
que leur apparition en tant que groupe dominant dans la branche « soudanaise
orientale » de la famille linguistique « Chari-Nil » et leurs expansions
périodiques rapides, sinon explosives, dans diverses directions, résultent de
leur adoption de l’élevage dans cette partie de l’ancienne zone aquatique,
il y a trois mille ans.
2.1.67 Origine de l’agriculture en Afrique de L’Ouest, afrique ancienne
On ne saurait trop insister sur le fait que, pour avoir une idée exacte de
l’histoire et de l’évolution de l’acclimatation des plantes et de la domestication
des animaux sous les tropiques, il convient de revoir fondamentalement et dans certains cas, d’abandonner complètement les conceptions
et les systèmes de référence traditionnels, c’est-à-dire européens.
sources : Ch a p i t r e 24, L’Afrique de l’Ouest avant le VIIe siècle, B. Wai Andah, 644, afrique ancienne
Des expériences devront être faites pour aider à découvrir combien de temps
il a dû falloir pour obtenir les cultigènes africains actuels à partir de leurs
divers ancêtres sauvages et dans les différentes niches écologiques. Il est en
outre nécessaire d’élargir la portée des travaux archéologiques. Les études
sur la succession des plantes et sur les sols dans les sites préhistoriques (par
trop négligées jusqu’ici) sont essentielles (pour la raison principale que l’on
manque souvent d’indications « directes ») si l’on veut comprendre quand
et comment d’autres activités ont pris le pas sur la chasse et la cueillette en
Afrique de l’Ouest.
Dans ce contexte, la domestication signifie les mesures qui consistent
à soustraire les animaux aux processus de sélection naturelle, à diriger leur
reproduction, à les mettre au service de l’homme en les faisant travailler ou
donner leurs produits, et à leur faire acquérir, par l’élevage sélectif, de nouveaux
caractères en échange de la perte de certains de ceux qu’ils possédaient.
La culture des plantes s’entend ici comme la plantation de tubercules ou le
semis de graines, la protection des arbres fruitiers et des plantes grimpantes,
etc., en vue d’obtenir, à l’usage de l’homme, une quantité appréciable de ces
mêmes tubercules et graines.
On s’abstiendra, dans cette étude, d’utiliser des termes comme vegéculture
et arboriculture, d’usage courant dans les textes, mais qui impliquent
l’idée d’une évolution graduelle de réalisations culturelles. De même, on ne
tiendra pas compte de la définition de l’agriculture (par exemple : Spencer1)
au sens technologique du terme : « systèmes de production alimentaire qui
font intervenir des outils perfectionnés, des animaux de trait ou des moyens
mécaniques, des méthodes de culture évoluées et des techniques de production
éprouvées ». (Nous avons souligné certains mots pour faire ressortir le
caractère relatif d’une telle définition.)
Des études écologiques indiquent, en premier lieu, que la domestication
des animaux est réalisable dans les zones tropicale et subtropicale
semi-arides de la savane2 parce que le pH des sols y est assez élevé
(± 7,0) ; en conséquence, les macro-éléments, azote et phosphore, sont
assez facilement assimilables et les pâturages offrent un apport de protéines
relativement élevé. Au contraire, ces études montrent que les
animaux domestiques ne constituent pas un élément important de la
production alimentaire dans les régions tropicales humides, parce que,
notamment, le pH des sols y est généralement faible et que les possibilités
d’assimilation des macro-éléments, azote, phosphore et calcium, sont
insuffisantes ; il s’ensuit que les pâturages abondent en fibres de cellulose
indigestes et présentent une valeur d’échauffement élevée. La production
et la déperdition de chaleur chez les animaux posent ainsi de sérieux
problèmes pour l’élevage du bétail dans les régions tropicales humides.
2.1.68 Neolithique, complexes d'élevage afrique ancienne
Premiers complexes d’élevage
au Néolithique dans le Nord
On a retrouvé à Uan Muhuggiag (dans le sud-ouest de la Libye)6 et à Adrar
Bous (Aïr)7 des restes de brévicornes domestiques, et les dates obtenues
situent cette domestication du bétail à partir de – 5590 ± 200 dans le premier
site et de – 3830 – 3790 dans le second. A Uan Muhuggiag, des restes
de moutons étaient également présents. Or, si l’on possède des indices
de l’existence, en Egypte et à Kom Ombo, d’animaux à longues cornes
contemporains du Pléistocène, il ne semble pas que le bétail brévicorne soit
apparu dans la vallée du Nil avant la construction de la grande pyramide de
Chéops (– 2600).
Le fait que les brévicornes aient été présents dans le Sahara central au
moins 1200 ans avant de se manifester sur le Nil exclut toute possibilité qu’ils
soient originaires de l’Egypte ou du Proche-Orient.
2.1.69 L'origines des cueilleurs et chasseurs, afrique ancienne (afrique méridionale)
Des recherches récentes ont établi que des peuples utilisant le fer étaient
allés s’installer au sud du fleuve Limpopo dès le IVe ou le Ve siècle de
notre ère au moins1. Bien que nombre de détails n’en aient pas encore été
publiés, il semble acquis que durant l’Age du fer les habitants du Transvaal
et du Swaziland étaient des cultivateurs et des éleveurs, et fabriquaient
une poterie semblable à celle que l’on a trouvée au Zimbabwe, en Zambie
et au Malawi à peu près pour la même époque2. On ignore si l’expansion
apparemment rapide de ces peuples s’est poursuivie vers le sud dans la
foulée, mais la date la plus ancienne à laquelle est attestée la métallurgie
au Natal est sensiblement plus tardive, voisine de l’an – 10503. De même, il
n’est pas encore possible de préciser l’époque où des groupes travaillant le
fer atteignirent les confins méridionaux de leur aire géographique, près de
la rivière Fish, dans les districts orientaux de la province du Cap.
2.1.70 Les débuts de l'age de fer, afrique méridionale (afrique australe)
En Afrique australe, l’épisode culturel connu des historiens sous le nom
de premier Age du fer a vu l’introduction d’un mode de vie qui contrastait
nettement avec ceux qui l’avaient précédé et qui a marqué l’histoire
ultérieure de toute la région. Vers le début du premier millénaire de notre
ère, une importante migration amena en Afrique australe une population
négroïde d’agriculteurs dont l’économie, le type d’établissement, peut-être
même l’apparence physique et la langue étaient très différents de ceux des
autochtones. Ils apportaient avec eux l’art de la métallurgie et celui de la
poterie, inconnus jusque-là dans la région. Ce chapitre traitera de la nature,
de l’origine et du développement de ces sociétés du premier Age du fer.
Les archéologues reconnaissent maintenant une parenté culturelle
générale aux sociétés qui ont introduit en Afrique la culture matérielle de
l’Age du fer. Les vestiges que nous ont laissés ces sociétés se rattachent à
un complexe commun au premier Age du fer en Afrique australe2 qui se
distingue des industries postérieures, tant par la cohérence de sa chronologie
que par l’appartenance manifeste de la poterie qui lui est associée, à une
tradition commune. L’extension de ce complexe dépasse largement la région
de l’Afrique australe dont il question ici3. A l’intérieur de ce complexe est possible de distinguer de nombreuses subdivisions régionales, fondées
principalement sur les variations stylistiques de la céramique ; et, dans de
nombreux secteurs, des caractères culturels indépendants viennent en
confirmer l’existence. La céramique du premier Age du fer semble avoir été
introduite dans toute la région où elle s’est répandue (voir carte) pendant
les premiers siècles de notre ère. Elle paraît avoir subsisté presque partout
jusqu’à ce qu’elle laisse la place à des traditions différentes et plus hétérogènes,
datant d’une période postérieure de l’Age du fer, généralement du
début du présent millénaire. Cette date terminale est variable : dans certaines
régions, le premier Age du fer disparaît dès le VIIIe siècle, tandis que d’autres
présentent une étonnante continuité typologique entre le premier Age du fer
et la poterie traditionnelle moderne4. Pour plus de commodité dans le cadre
de cet ouvrage en plusieurs volumes, j’ai pris sur moi de traiter des cultures
du premier Age du fer jusqu’à l’époque où elles ont fait place à d’autres,
mais sans aller au-delà du XIe siècle de notre ère. J’ai donc laissé de côté les
survivances plus tardives de ces cultures. Il en sera question à propos des
périodes postérieures de l’Age du fer.
C’est dans le cadre du complexe industriel du premier Age du fer qu’apparaissent
pour la première fois en Afrique australe de nombreuses caractéristiques
culturelles d’importance capitale5. Ce sont, essentiellement, l’agriculture,
la métallurgie, la poterie et les villages semi-permanents de maisons faites de
boue appliquée sur une charpente de clayonnage ou de lattes (pieux et daga).
Dans la mesure où s’y prêtent le terrain et la répartition des dépôts minéraux,
ces quatre caractères se rencontrent partout dans les sites de la région datant du
premier Age du fer.
La culture matérielle des sociétés de cette époque marque
une rupture soudaine par rapport à celle des sociétés du Late Stone Age qui les
ont précédées ou en sont les contemporaines. Que ce soit dans ses différentes
composantes ou en tant qu’entité viable, il est possible de démontrer que cette
culture était entièrement constituée quand elle a été introduite en Afrique
australe, et il est clair que ses antécédents ne doivent pas être recherchés à
l’intérieur de cette région, mais beaucoup plus au nord. Aucun site d’Afrique
australe n’a par exemple livré de poterie qui puisse être considérée comme
l’ancêtre de la poterie du premier Age du fer. La métallurgie paraît avoir été
introduite comme une technologie achevée et efficace dans une région où la
connaissance de ces rudiments faisait jusqu’alors complètement défaut. Les
animaux domestiques et les plantes cultivées du premier Age du fer appartenaient
à des espèces précédemment inconnues dans la partie australe du
subcontinent.
Dans ces conditions, et compte tenu de son apparition à peu
près simultanée sur toute l’étendue d’une immense région, il est difficile de
ne pas conclure que le premier Age du fer a été introduit en Afrique australe
par un important et rapide mouvement de population, porteur d’une culture
pleinement constituée, mais étrangère, qui s’était formée ailleurs.
c h a p i t r e 28 Madagascar P. Vérin
Madagascar : lieux cités dans le texte. (Document fourni par l’auteur.)
madagascar
2.1.71 Linguistique, Magadascar, afrique ancienne
L’appartenance du malgache au groupe linguistique malayo-polynésien,
pressentie en 1603 par le Hollandais F. de Houtman qui publia des
dialogues et un dictionnaire malais-malgache1, était réaffirmée par le
Portugais Luis Moriano qui reconnaissait une dizaine d’années plus tard
l’existence dans le nord-ouest d’une langue « cafre » (le swahili) parlée
sur les côtes du nord-ouest, distincte d’une langue « bouque » (le malgache)
« dans tout l’intérieur de l’île et sur le reste des côtes […] très
semblable au malais ».
Van der Tuuk2 devait établir scientifiquement cette parenté du malgache
avec les langues indonésiennes par ses travaux auxquels succédèrent
les recherches de Favre, Brandstetter, Marre, Richardson et surtout
Dempwolf. Les constructions du proto-indonésien de Dempwolf montrent
que le Merina, qu’il appelle Hova, ne diverge pas sensiblement des autres
langues de la famille indonésienne. Dahl a ultérieurement fait ressortir
que le malgache avait subi une influence du bantu, non pas seulement
dans le vocabulaire, mais aussi dans la phonologie. Cette constatation est
de première importance pour la discussion des interférences africanoindonésiennes
qui seront évoquées plus loin. Hébert, dans plusieurs de ses
travaux, a fait observer que, parmi les termes indonésiens à Madagascar,
il y a souvent une bipartition qui traduit l’hétérogénéité des sources du
Sud-Est asiatique. Dez a effectué une analyse du vocabulaire d’origine
indonésienne permettant d’inférer le type de civilisation apportée par les
émigrants3. Enfin, la glotto-chronologie a confirmé l’aspect profondément
indonésien du vocabulaire de base (94 %) et donne une idée des temps
de séparation depuis le proto-langage4. Le fait que l’essentiel du corpus
linguistique malgache de base se rattache au sous-groupe indonésien ne
peut cependant nous faire perdre de vue d’autres apports qui s’y sont
greffés : indiens, arabes et africains. Les contacts qu’ils supposent aident
mieux à comprendre ce que fut la diaspora indonésienne vers l’ouest dans
les rencontres et les mélanges qu’elle a pu connaître.
2.1.72 Anthropologie physique
Les travaux dans ce domaine sont venus confirmer la double appartenance
des Malgaches aux fonds mongoloïde et négroïde. Rakoto-Ratsimamanga
avait tiré d’importantes conclusions sur la répartition et la nature de la
tache pigmentaire, plus fréquemment rencontrée chez les sujets des Hauts-
Plateaux. Il distingue quatre types morphologiques qui se partageraient la
population selon les proportions suivantes :
— type indonésien-mongoloïde : 37 % ;
— type négro-océanien : 52 % ;
1. R. DRURY, 1731, pp. 323 -392.
2. VAN DER TUUK, 1864.
3. J. DEZ, 1965, pp. 197 -214.
4. P. VERIN, C. KOTTAK et P. GORLIN, 1970 (b).
Carte de Madagascar avec indication des sites importants. (Document fourni par l’auteur.)
— type négro-africain : 2 % ;
— type europoïde : 9 %.
On peut mettre en doute l’origine océanienne d’une grande fraction de
l’élément négroïde5. Plus récemment, Mme Chamla, sur la base de mensurations
de crânes conservés au musée de l’Homme, a proposé de distinguer
trois types :
— un type brun clair, asiatique, proche des Indonésiens ;
— un type noir africain plutôt que mélanésien ;
— un type mixte qui, dans l’ensemble, paraît le plus fréquent.
Les recherches hématologiques de Pigache6 montrent très clairement
que les Noirs malgaches sont d’origine africaine et non pas mélanésienne.
Le type physique indonésien est dominant parmi les individus issus des
anciennes castes libres d’Imerina. En revanche, les descendants des captifs
de jadis qui venaient des côtes ou de l’Afrique ont un type franchement noir.
Les Indonésiens semblent avoir également contribué à l’élaboration biologique
des Sihanaka, des Bezanozano, de certains Betsimisaraka et des Betsileo
du Nord. On discute encore pour savoir s’ils ont aussi une participation dans
la constitution du fonds biologique des autres groupes côtiers où le type
négroïde est très répandu et, parfois, quasi général.
L’étude des anciens restes osseux à Madagascar devrait aider à comprendre
le processus des mélanges, et en particulier le point de savoir si la fusion
entre les éléments africain et indonésien s’est produite dans l’île ou ailleurs.
L’absence quasi totale de squelettes obtenus dans un contexte archéologique
n’a pas, jusqu’à présent, permis de recueillir des renseignements de cette
nature7.
2.1.73 Ethnologie et musicologie, Magadascar, afrique ancienne
H. Deschamps8 a, le premier, cherché à départager les apports indonésiens
et africains de la civilisation malgache. Parmi les traits culturels africains,
on relève bien des éléments du complexe de l’élevage, le culte du serpent
adressé au roi défunt dans l’Ouest et en Betsileo, des formes d’organisation
socio-politique des côtes. L’organisation sociale de l’Imerina est, au
contraire, franchement d’allure indonésienne.
La civilisation malgache doit encore à l’Est la plupart de ses types d’habitation,
la culture du riz en terrasses inondées, des aspects de la religion
ancestrale, ainsi que tout un complexe technologique comprenant le soufflet
à double piston, la pirogue à balancier, le four souterrain garni de pierres
volcaniques poreuses ainsi que des objets moins connus tels que le perçoir rotatif à arc et la râpe sur support pour le fruit du cocotier, étudiés sur les
côtes ouest de Madagascar, que l’on retrouve jusqu’en Polynésie orientale
absolument identiques sous les noms de hou et de ˒ana (dialecte tahitien).
5. A. RAKOTO-RATSIMAMANGA a été dans la définition de ses catégories fort influencé par
les théories « sud-asiatiques » de A. GRANDIDIER. Il n’indique pas clairement les paramètres
permettant de définir ces types.
6. J.P. PIGACHE. 1970, pp. 175 -177.
7. A l’exception des études faites sur les ossements des sites de Vohémar et du Nord-Ouest, qui
sont des vestiges arabes postérieurs au premier peuplement.
8. H. DESCHAMPS, 1960.
Hornell et Gulwick ont étudié les résonances culturelles indonésiennes
sur la côte orientale d’Afrique et plus récemment G.P. Murdock a pu parler
de « complexe botanique malaisien » qui, à ses yeux, inclut les plantes anciennement
introduites depuis l’Asie du Sud-Est parmi lesquelles il cite : le riz
(Oryza sativa), l’arrow-root polynésien (Tacca pinnatifida), le taro (Coloca-casia
antiquorum), l’igname (Discorea alata, D. bulbifera et D. esculenta), le bananier
(Musa paradisiaca et M. sapientium), l’arbre à pain (Artocarpus incisa), le cocotier
(Coco nucifera), la canne à sucre (Saccharum officinarum), etc. Murdock estime
que les migrations indonésiennes qui ont transporté ce complexe botanique
ont pris place pendant le premier millénaire avant notre ère et ont emprunté
un itinéraire le long des côtes de l’Asie méridionale avant d’atteindre celles
de l’Afrique orientale.
Murdock a certainement raison d’exclure l’itinéraire rectiligne sans escale
à travers l’océan Indien comme voie de migration et l’époque à laquelle il
situe celle-ci est vraisemblable. Cependant, en ce qui concerne les preuves
d’ordre ethno-botanique, Deschamps et, plus récemment, Hébert constatent
que certaines plantes importées de longue date à Madagascar portent tantôt
un nom indonésien, tantôt un nom africain, tantôt les deux à la fois. Hébert
insiste sur le fait que « des appellations identiques entre pays distincts n’apportent
pas la preuve de l’emprunt botanique ». Pour en citer un exemple,
le fait que le bananier soit désigné sur la côte ouest malgache par un nom
indonésien (fontsy) ne nous donne pas la certitude que cette plante ait été
amenée par des immigrants indonésiens. En effet, sur les Hautes-Terres,
le bananier porte un nom bantu (akondro).
Les deux origines peuvent donc être défendues, chacune avec des arguments valables. Hébert cite ensuite
Haudricourt dont le point de vue est encore plus explicite. Dans son étude
sur l’origine des plantes cultivées malgaches, Haudricourt écrit en effet :
« L’existence d’un nom d’origine indonésienne ne signifie pas à coup sûr
qu’elle [la plante] est originaire d’Indonésie, car les émigrants ont reconnu
dans la flore indigène des plantes analogues à celles de leur pays natal, et leur
ont donné les mêmes noms. » Il convient d’ajouter que les plantes nouvelles
et inconnues ont pu recevoir des noms inspirés par les ressemblances avec
les espèces du pays d’origine des immigrants.
Ces quelques arguments montrent à quel point le maniement des preuves
ethno-botaniques est délicat. On pourrait en dire autant dans le domaine
musicologique. C. Sachs a montré qu’à Madagascar se rejoignaient diverses
influences : indonésienne, africaine et arabe. Jones a été bien au-delà. Pour lui,
les influences indonésiennes se sont diffusées, non seulement à Madagascar,
mais à travers toute l’Afrique. Je crois que, sans rejeter certaines découvertes
de Jones, il ne faut pas exclure la possibilité que des trouvailles similaires
aient été faites indépendamment de part et d’autre de l’océan Indien.
La conclusion à tirer de ce qui précède quant aux origines malgaches
se résume en ceci : les ancêtres sont d’origine indonésienne et africaine ; la
nature indonésienne prédominante de la langue ne minimise pas forcément
1. Village d’Andavadoaka au sud-ouest ;
constructions en végétal analogues à celles des
premières installations.
2. Cimetière d’Ambohimalaza (Imerina) ; les
« maisons froides » sur les tombeaux reproduisent
la case traditionnelle.
(Documents fournis par l’auteur.)
le rôle de l’Afrique dans le peuplement. Le grand continent voisin est présent
par une contribution physique majoritaire, par de nombreux traits de la
culture et des systèmes socio-politiques. Cette situation hybride n’est pas du
tout réalisée aux Comores et sur la côte d’Afrique où l’on a aussi soupçonné
des venues indonésiennes.
Les diverses théories sur l’origine des Malgaches hésitent en fait entre
deux pôles : celui de l’Afrique et celui de l’Indonésie avec, il est vrai, quelques
points de vue aberrants comme celui de Razafintsalama qui croyait, sur
la base de plusieurs milliers d’étymologies douteuses, que la Grande Ile avait
été colonisée par des moines bouddhistes. A. Grandidier avait privilégié de
façon exagérée l’Asie puisque pour cet auteur, mis à part les venues récentes
des Makoa, tous les ancêtres des Malgaches venaient d’Asie du Sud-Est,
y compris les Noirs appelés, pour les besoins de la cause, Mélanésiens.
G. Ferrand relevait ce défi à la géographie, et un peu au bon sens, en insistant
sur les aspects plutôt africains de l’origine des Malgaches. Ferrand distinguait
les phases suivantes :
— une période pré-bantu possible ;
— une période bantu antérieure à notre ère ;
— une époque indonésienne prémerina, du IIe au IVe siècle : émigration
originaire de Sumatra au cours de laquelle les nouveaux venus imposèrent
leur suprématie aux Bantu ;
— les venues arabes du VIIe au IXe siècle ;
— une nouvelle émigration de Sumatranais au Xe siècle, parmi lesquels
figuraient Ramini, ancêtre des Zafindraminia et Rakuba, ancêtre des
Hova ;
— enfin, des Persans et, vers 1500, les Zafikasinambo.
G. Julien donnait, lui aussi, une place capital à l’Afrique et, inversement,
Malzac11 croyait que les Hova avaient enseigné leur langue à tous les
Bantu de Madagascar…
2.1.74 Les premiers peuplements de Madagascar, afrique ancienne
Avant d’aller plus au fond dans cet examen des origines indonésiennes et
africaines du peuple malgache, il convient de faire un sort à toutes les théories
qui ont voulu faire venir à une époque très reculée des migrants issus
des cultures méditerranéennes.
Phéniciens, Hébreux ou gens du « P ériple » ?
Dans l’histoire de ces pays qui, pour les Anciens, étaient le bout du monde,
Phéniciens, Egyptiens, Sabéens, Grecs et Hébreux se voient souvent attribuer
un rôle dépassant nettement ce qu’il fut en réalité.
9. G. FERRAND, 1908, pp. 489 -509.
10. G. JULIEN, 1908, pp. 644 et 375.
11. R.P. MALZAC, 1912.
C’est ainsi que Bent attribuait la paternité de Zimbabwe à des Phéniciens (1893) et que
Ch. Poirier fait l’équation entre la région de Sofala et les pays de Pount et
d’Ophir.
Des voyageurs d’une très haute antiquité, pour certains auteurs, ont
touché Madagascar. F. de Many croyait avoir retrouvé des vestiges phéniciens
à Majunga, ce que Ferrand et nous-mêmes ne pouvons confirmer.
A. Grandidier12 fait état de visites de Grecs et naturellement d’Arabes. Selon
lui, « dès les temps anciens, cette île était connue des Grecs et des Arabes,
mais les noms de Ménouthias, de Djafouna, de Chezbezat sous lesquels ils
la désignaient, et la description, très courte, quoique exacte, qu’ils nous ont
laissée, n’avaient pas frappé l’attention des géographes européens qui n’en
ont appris l’existence que par les Portugais, en 1500 ».
En fait, le seul nom grec, celui de Menouthias, que l’on trouve dans
Ptolémée et dans le Périple, désigne plus probablement l’île de Pemba ou
peut-être Zanzibar ou Mafia. Un certain Mesgnil a cru bon de rédiger un
ouvrage dont le titre, Madagascar, Homère et la tribu mycénienne, donne à lui
tout seul une idée de la spéculation entreprise.
Plus tenaces sont les légendes sur des immigrations juives ; le Père
Joseph Briant dans sa plaquette l’Hébreu à Madagascar, croit fermement
qu’il y aurait eu, non une, mais deux immigrations juives à Madagascar.
Briant appuie sa démonstration par plusieurs centaines de rapprochements
entre des mots malgaches et des mots hébreux. En fait, ce genre de
démonstration fondée sur une linguistique facile comparant ce qui peut se
ressembler est hélas trop répandue à Madagascar où J. Auber l’a développée
dans de nombreux travaux, tous contestables, mais qu’on a édités à
l’Imprimerie officielle.
Les recherches sur l’origine juive de certains Malgaches remontent à
Flacourt14 qui croit que les premiers étrangers venus à la côte est de Madagascar
sont les « Zaffe-Hibrahim, ou ceux de la lignée d’Abraham, habitants
de l’Isle de Sainte-Marie, et des terres voisines », et dans son avant-propos à
l’Histoire de la Grande Isle de Madagascar, Flacourt15 explicite son hypothèse
par l’usage de noms bibliques, de la circoncision, l’interdiction du travail le
samedi.
G. Ferrand conteste formellement la possibilité de ces migrations juives.
Il pense que certains noms sémitiques de l’île sont imputables aux Malgaches
qui s’étaient convertis à l’islam16. Quant à l’abstention du travail le
samedi, il s’agit tout simplement d’un jour fady (interdit), fort courant dans
les coutumes malgaches ; sur la côte est, on trouve encore des fady le mardi,
le jeudi et le samedi, selon les régions. En outre, il semble qu’au XVIIe siècle
l’existence de la circoncision chez certains peuples exotiques ait incité des
auteurs français chrétiens à rechercher une origine juive.
On trouve au XVIIe siècle un autre exemple de cette recherche dans une autre région : le dictionnaire
français-caraïbe et caraïbe-français du Père Raymond Breton.
12. A. GRANDIDIER, 1885, p. 11.
13. R.P. J. BRIANT.
14. L. FLACOURT, 1661
15. L. FLACOURT, op. cit.
16. G. FERRAND, 1891 -1902, pp. 109 -110.
Porte ancienne de Miandrivahiny Ambohimanga (Imerina). (Document fourni par l’auteur.)
madagascar
Plus récemment, la théorie des pré-islamiques malgaches a été reprise
par J. Poirier sous une autre forme. Cet auteur retrouve une dualité dans
les apports musulmans à Madagascar. Alors que pour ses prédécesseurs, les
survivances atténuées de l’islam malgache évoquaient des origines juives,
Poirier considère qu’il s’agirait là d’une forme primitive de religion qui serait
venue d’Arabie dans la Grande Ile. Cependant, les données archéologiques
acquises en Afrique orientale et à Madagascar n’apportent aucune indication
en ce sens. Les infiltrations massives d’Arabes qui fertilisent la culture
swahili interviennent au VIIIe siècle. Au IIe siècle de notre ère, on circulait
bien sur la côte d’Afrique orientale, mais le terminus de la navigation après
Menouthias (qui ne peut avoir été Madagascar) était Rapta. Selon l’auteur du
Périple, le tout dernier marché du pays d’Azania était appelé Rapta, dont le
nom dérive des bateaux cousus (rapton plorarion) ; il y avait là de l’ivoire en
grande quantité et de l’écaille.
Rapta n’a pas encore été localisé, mais on pense qu’il doit se situer entre
Pangani et le delta de la rivière Rufiji. Il est probable que Madagascar n’était
pas intéressé par ce commerce sur les côtes, non seulement parce qu’il n’allait
que jusqu’à Rapta, mais encore parce que l’île était inhabitée.
Sur la base de la documentation historique et archéologique dont on
dispose, on est en droit de penser que Madagascar a été touché par des Indonésiens
et des Africains entre le Ve et le VIIIe siècle, en tout cas pas plus tard
que le IXe siècle.
Il convient donc d’examiner maintenant les péripéties de ce
qui est connu sur ces premiers peuplements afro-asiatiques.
Les premiers immigrants indonésiens
Bien qu’il soit aventureux de fixer la date relative de la migration des premiers
Indonésiens, on peut supposer, pour des raisons qui vont être exposées
plus loin, que leur départ s’est effectué à partir du Ve siècle de notre
ère. Les mouvements ont pu se poursuivre jusqu’au XIIe siècle comme le
pense Deschamps. Les premiers migrants qui sont entrés en contact avec
des Africains et se sont sans doute alliés à eux sont appelés par nous Paléo-
Indonésiens.
Les venues plus tardives sont celles des Néo-Indonésiens,
ancêtres des Merina. Cette dernière vague, peut-être parce qu’elle a suivi
un itinéraire plus direct a mieux préservé son identité biologique originelle ;
mais sans doute, parce qu’elle était moins nombreuse, elle a dû s’initier à la
langue des premiers venus Paléo-Indonésiens.
La dichotomie entre les Paléo-Indonésiens et les Néo-Indonésiens n’est
pas seulement d’ordre chronologique et biologique, elle se reflète aussi dans
l’organisation sociale. Ainsi que l’a montré Ottino, les sociétés des Hautes-
Terres ont à l’origine une organisation qui se rapproche beaucoup de celle de
l’Indonésie. Sous le nom de funkun, on retrouve à Timor une forme analogue
au foko, unité sociale de l’Imerina, que Bloch appelle deme.
Les sociétés malgaches côtières, au contraire, ont beaucoup de points communs avec celles
de l’Afrique bantu.
Hébert qui a observé, pour un certain nombre de termes malgaches
d’origine indonésienne, une bipartition est-ouest, fait des remarques d’un
intérêt considérable en ce qui concerne les calendriers (1960) ; ceux des
Sakalava contiennent peu de mots sanscrits, mais ceux des descendants des
Néo-Indonésiens beaucoup plus17.
Les Néo-Indonésiens paraissent posséder des traditions, fort vagues il est
vrai, sur leur origine indonésienne. Les Tantaran’ny Andriana, chroniques de
l’histoire Merina recueillies par le Père Callet, font allusion au débarquement
sur la côte est, quelque part entre Maroantsetra et le Mangoro. Ramilison,
dans son Histoire des Zafimamy, reprend cette tradition de débarquement qu’il
situe à Maroantsetra.
Le pays d’origine des Indonésiens qui émigrèrent vers l’ouest de
l’océan Indien aux époques les plus anciennes ou lors de temps plus récents
est encore une énigme. A mon avis, une comparaison glotto-chronologique
du malgache, ou plutôt de ses divers dialectes, avec un grand nombre de
langues indonésiennes de l’archipel et du continent indochinois, apporterait
de précieuses indications ; la langue possédant la proportion la plus
élevée de termes communs avec le malgache nous ramènerait au tronc
commun sud-est asiatique d’où s’est faite la divergence. O. Dahl a mis en
lumière l’étroite parenté avec le Maajan de Bornéo, parenté que I. Dyen
a confirmée par des calculs de glotto-chronologie, indiquant une rétention
commune plus importante pour le couple malgache-maajan que pour le
couple malgache-malais. Ceci ne veut pas dire forcément que le malgache
est issu de Bornéo, d’autres langues sont peut-être plus proches.
Ferrand, dans ses Notes de phonétique malgache, croyait à une parenté étroite entre le
malgache et le batak, puis il a fait des rapprochements avec le kawl et le
javanais.
Les Protomalgaches du Sud-Est asiatique, auteurs de cette version
océan Indien de l’épopée polynésienne, pouvaient avoir, selon Solheim18, un
genre de vie bien comparable à celui des Iban de Bornéo, qui partagent leur
année en une période sédentaire occupée par les défrichements sur brûlis
et une autre durant laquelle ils naviguent et s’adonnent même à la piraterie.
Hébert19 se demande si ces intrépides navigateurs n’étaient pas des Bougi
dont le nom déformé aurait servi par la suite à désigner Madagascar dans les
récits arabes et jusqu’à aujourd’hui (Swahili Bunki ou Bukini).
J’ai été frappé par la similitude des villages fortifiés à fossé des Néo-
Indonésiens (16 000 sites dénombrés par A. Mille en Imerina) avec ceux qui
existent en Indochine et en Thaïlande. Ces sites fortifiés apparaissent en
Indonésie dès le Néolithique, mais on en connaît qui datent du milieu du
premier millénaire de notre ère. De toute façon, il ne serait pas absurde de
rechercher aussi au nord du Sud-Est asiatique l’origine de nos Indonésiens de
17. Cet argument paraîtra contestable à ceux qui avanceront que la diffusion des calendriers
peut se faire sans migration. En outre, les Sakalava ont pu subir l’influence des islamisés pour
modifier leur calendrier.
18. W. SOLHEIM, 1965 pp. 33 -42.
19. J.C. HEBERT, 1971, pp. 583 -613.
2.1.76 Magadascar, les civilisations indonésiennes, afrique ancienne
Madagascar : il y a quinze siècles, l’extension des civilisations indonésiennes
incluait largement la péninsule indochinoise. Les descendants de cette protoculture
à laquelle nous voudrions remonter peuvent très bien avoir eu, par la
suite, un habitat insulaire, certains à Bornéo, d’autres à Madagascar.
L’incertitude dans laquelle nous nous trouvons pour préciser le ou les
pays indonésiens de la protoculture ne signifie pas que nous soyons dans le
domaine de la seule spéculation. A partir du Ve siècle, et sans doute bien
avant, les navigations indonésiennes vers l’Inde notamment sont très actives
et, dès le VIIe siècle jusqu’au XIIe siècle, de grandes puissances maritimes se
développent en Indonésie, notamment les empires hindouisés de Crivijaya
(VIIe au XIIIe) établis à Sumatra, des Cailendra (VIIIe), de Mataram (IXe au XIe)
et de Modjapahit (XIIIe) à Java, de Jambi (XIIe) en pays malais.
Une datation précise des départs indonésiens n’est pas plus aisée à
établir, dans l’état des connaissances actuelles, que l’aire d’origine. Ferrand,
puis Dahl ont remarqué que, s’il existe bien des mots sanscrits en malgache,
leur nombre est bien moins important que dans les langues étroitement
apparentées (malais ou plutôt maajan). On peut en déduire que les départs
vers Madagascar ont dû avoir lieu lorsque l’hindouisation de l’Indonésie était
commencée20.
L’hindouisation, si elle est bien attestée dès le IVe siècle de
notre ère, a dû commencer avant ; mais cette influence a été très inégale à
l’intérieur de l’Indonésie et du Sud asiatique.
La glotto-chronologie entre le malais et le malgache et à l’intérieur des
dialectes issus du protomalgache nous fournit un éventail de possibilités
chronologiques un peu avant et à l’intérieur du premier millénaire de notre
ère21. L’intérêt de l’étude de la divergence du vocabulaire de base tient aux
classifications qu’on peut faire entre les dialectes et aux inférences sur les
migrations à l’intérieur de Madagascar que l’on peut en tirer.
La constatation de Deschamps que les itinéraires maritimes étaient à l’est de l’Inde frayés
depuis longtemps et à l’ouest connus dans les premiers siècles de notre ère a,
à mon avis, plus de poids que les incertitudes de la glotto-chronologie.
La présence d’objets en pierre devrait aider, si elle était vérifiée, à
remonter jusqu’à l’aube de l’histoire malgache. Jusqu’ici on n’a aucun élément
en ce sens, et je crois que les premiers Malgaches qui ont vécu dans l’île
connaissaient le métal. Sur la côte d’Afrique, on le sait, l’Age du fer succède
à l’Age de la pierre entre le Ier et le IVe siècle de notre ère. En Indonésie, le
bronze est bien antérieur22 et, surtout, des civilisations très différentes ont
coexisté ; même des groupes isolés conservaient des outils en pierre après le
Xe siècle en Indonésie.
L’existence d’objets en pierre à Madagascar est sujette à controverse.
Jusqu’ici, deux trouvailles d’objets ressemblant à des herminettes ont
été faites : l’une dans la région d’Ambatomanoina par Bloch23, l’autre par
Marimari Kellum-Ottino à Tambazo à l’est de Malaimbady. Pour l’instant,
20. O. DAHL, 1951, p. 367.
21. P. VERIN, C. KOTTAK et P. GORLIN, 1970, pp. 26 -83 ; DYEN, 1953.
22. H.R. VAN HEEKEREN, 1958.
23. M. BLOCH et P. VERIN, 1966, pp. 240 -241.
1. Pirogue de pêche vezo de type
indonésien à balancier.
2. Soufflet de forge à deux positions
de type indonésien. (Documents
fournis par l’auteur.)
on doit rester sur la réserve, car ces deux morceaux travaillés proviennent
de lieux où l’on a pu tailler des pierres à fusil ; mais si apparaissait une
confirmation, cela pourrait placer la venue des premiers Indonésiens
au moins au milieu du premier millénaire de notre ère. L’indication de
G. Grandidier (1905) que des pierres taillées ressemblant à des pierres à
fusil ont été découvertes dans le gisement de subfossiles de Laboara, nous
paraît du plus haut intérêt ; en effet, lors de l’extinction des subfossiles,
les armes à feu n’étaient pas encore introduites à Madagascar et il pourrait
réellement s’agir d’industrie lithique.
La poterie malgache du centre et de l’est a beaucoup d’affinités avec
les objets du complexe Bau-Kalanay, mais les poteries trouvées en Afrique à
cette période archaïque sont encore trop mal connues pour départager avec
précision ce qui est africain de ce qui est indonésien. La religion malgache
des ancêtres, par ses monuments de pierres levées, évoque beaucoup l’Indonésie.
Ferrand (1905) rattache par une étymologie solide le mot désignant la
divinité (Zanahary) à des homologues malais et cham.
En ce qui concerne l’instrument des migrations, on s’est souvent posé
la question de savoir si les Indonésiens du premier millénaire possédaient
des navires capables de parcourir d’aussi longues distances. L’on sait qu’existaient
à cette époque, dans l’ouest de l’océan Indien, des bateaux cousus,
les mtepe, qui figurent parmi les ancêtres des boutres (néanmoins, leur coque
était ligaturée au lieu d’être chevillée et la voilure n’était pas la même). Dans
l’est de l’océan Indien, ainsi que l’a montré Deschamps, il y avait des navires
capables de tenir la haute mer ; l’image la plus ancienne nous est donnée
par la sculpture du temple de Borobudur (Java, VIIIe siècle) représentant un
navire à balancier à deux mâts et voile.
La contribution indonésienne au peuplement étant admise, il reste à
découvrir les itinéraires qu’elle a pu prendre. De nombreux auteurs ont fait
observer qu’il existe une première route, celle du Grand Sud équatorial qui
peut théoriquement porter de Java vers Madagascar ; ce courant sud-équatorial
est particulièrement bien établi entre les rivages méridionaux de Java et
la zone du voisinage du cap d’Ambre pendant la période d’août-septembre.
Sibrée avait observé que les ponces provenant de l’explosion du Krakatau
avaient ainsi voyagé suivant des trajets qui les avaient fait échouer sur les
côtes malgaches.
Cette route directe Insulinde-Madagascar, sans être absolument inutilisable,
reste néanmoins difficile à concevoir pour des raisons qu’a parfaitement
explicitées Donque. « Un tel itinéraire direct Java-Madagascar ne rencontre
donc pas, a priori, d’obstacle insurmontable au cours de l’hiver austral, saison
pendant laquelle les cyclones tropicaux sont absents de cette zone. Cependant,
il convient de noter des présomptions de preuves pouvant infirmer cette
hypothèse », car le trajet direct représente une distance de près de 6 000 km
dans un désert marin sans escale. II faut donc envisager un relais par l’Inde
du Sud et Ceylan. Deschamps24 fait allusion à des références concernant des
incursions de pirates de la mer dans ces régions dans la première moitié du
premier millénaire de notre ère.
Le trajet Inde méridionale-Madagascar ne pose pas a priori de gros
problèmes. L’itinéraire par les côtes sud de l’Asie occidentale était connu
dès l’époque du Périple et plus tard l’abondance des monnaies chinoises que
l’on trouve à Siraf atteste l’intensité des échanges entre l’Extrême-Orient
et le Moyen-Orient par voie de mer. Du Moyen-Orient, la descente le long
des côtes africaines a eu lieu comme au temps de la prospérité de Rapta et
la découverte de Madagascar s’est, sans doute, faite par l’intermédiaire de
celle des Comores. Par temps clair, lorsqu’on est au large du cap Delgado, on
devine la silhouette du Kartala de la Grande Comore. Les reliefs du Moheli
se voient depuis la Grande Comore et ainsi de suite jusqu’à Mayotte ; faut-il
imaginer qu’un navire à destination d’une de ces îles de l’archipel comorien
a pu manquer celle-ci et s’est retrouvé vers Nosy-Be ou vers le cap Saint-
Sébastien comme cela s’est produit souvent au XIXe siècle pour des boutres
de Zanzibar déportés par gros temps ?
Effectivement, il se pourrait que le peuplement des îles Comores soit
ancien. Les chroniques des écrivains locaux, en particulier celle de Said Ali,
font état de la présence de populations « païennes » à l’ère des bedja avant
la venue des musulmans. Certes, on ne sait pas s’il s’agit d’Indonésiens ou
d’Africains, mais il n’y en a pas moins là un indice fort intéressant. D’après certains
auteurs, notamment Repiquet25 et Robineau26, la population des Hauts
d’Anjouan, les Wamatsa, inclurait une certaine proportion de descendants de
ces premiers habitants pré-islamiques. Cette supposition n’a pas encore été
réellement examinée. Des éléments de la toponymie (Antsahe par exemple,
qu’on peut rapprocher du malgache Antsaha) ou de la technologie traditionnelle
permettraient d’envisager la possibilité de migrants protomalgaches
d’origine indonésienne. A Ouani, survit une tradition potière dont la forme
et la décoration des marmites évoquent singulièrement les objets similaires
malgaches27. Hébert a indiqué que, toujours à Anjouan, il existe des interdits
sur les anguilles des lacs de montagnes, interdits très similaires à ceux que
les Malgaches respectent sur la même anguille qui porte à Madagascar un
nom d’étymologie indonésienne comme à Anjouan. Barraux28 signale aussi
une tradition originale, peut-être malayo-polynésienne de l’habitat à Vouéni.
Naturellement la culture comorienne possède, comme sur la côte d’Afrique,
des objets venus du Sud-Est asiatique, telles la pirogue à balancier et la râpe
à coco.
Le substrat indonésien d’Anjouan sera peut-être révélé un jour par les
fouilles du Vieux Sima. Ce site, où subsiste une mosquée datant du XVe siècle,
a été traversé par une tranchée de route à la base de laquelle on note l’existence
d’une couche archéologique contenant des tessons de poterie ocrée
rouge et une grande abondance de coquillages marins provenant de déchets
25. J. REPIQUET, 1902.
26. C. ROBINEAU, 1966, pp. 17 -34.
27. P. VERIN, 1968, pp. 111 -118.
28. M. BARRAUX, 1959, pp. 93 -99.
1
1. Cimetière de Marovoay près de 2
Morondava.
2. Statue d’Antsary : art
antanosy, près de Fort-Dauphin.
de cuisine. Une datation au carbone 14 faite sur un tridacne des couches
profondes indique une ancienneté de 1500 années ± 70 (laboratoire Gakushuin).
Des fouilles seront naturellement nécessaires à cet endroit difficile à
atteindre ; les couches pré-islamiques de Sima contiennent probablement
des éléments pour résoudre l’énigme des Protomalgaches.
Les Indonésiens séjournant sur la côte africaine ont peut-être formé le
noyau du peuplement de Madagascar, ainsi que l’ont supposé Deschamps,
puis Kent sous une forme quelque peu différente mais tout aussi hypothétique.
On a exagéré les influences indonésiennes sur la côte d’Afrique. Le
« complexe malayen » des plantes importées du Sud-Est asiatique en Afrique
n’est pas forcément lié aux Indonésiens ; d’après le récit du Périple, la canne à
sucre et probablement le cocotier étaient venus sans eux.
L’aire de diffusion de la pirogue à balancier dans l’océan Indien est
certainement, comme l’avait vu Hornell, un indice d’influences indonésiennes
; Deschamps croit qu’elle marque le cheminement des migrations
jusqu’à Madagascar ; supposition vraisemblable, mais encore discutée, car les
contacts étroits des cultures swahili et malgache ont pu favoriser l’adoption
d’emprunts.
Lorsqu’on fait le bilan des influences indonésiennes sur la côte orientale
d’Afrique, on s’aperçoit qu’elles sont relativement peu importantes. Or, s’il
y a eu installation d’Indonésiens sur la côte orientale, on devrait en trouver
des vestiges. Aucun n’a jusqu’ici été révélé. Ceci donnerait à penser que
le point d’impact des Asiatiques sur la côte, s’il a existé, est relativement
localisé et n’a jamais constitué une colonisation de large étendue. Dans
cette discussion, il convient de faire état des renseignements que nous
fournissent les premiers géographes arabes. Le texte le plus ancien et aussi
le plus stimulant sur la question est sans conteste celui qui rapporte l’incursion
des gens de Waqwaq sur les côtes africaines dans la deuxième moitié
du Xe siècle. J. et M. Faublée29 et R. Mauny30 considèrent ce texte à juste
titre comme fort important, mais l’interprètent de façon différente. Il est
extrait du Livre des Merveilles de l’Inde par Bozorg ibn Chamriyar, un Persan
de Ramhormoz31. Voici le passage en question : « Ibn Lakis m’a rapporté
qu’on a vu les gens du Waqwaq faire des choses stupéfiantes. C’est ainsi
qu’en 334 (945 -946), ils leur arrivèrent là dans un millier d’embarcations et
les combattirent avec la dernière vigueur, sans toutefois pouvoir en venir
à bout, car Oambaloh est entourée d’un robuste mur d’enceinte autour
duquel s’étend l’estuaire plein d’eau de la mer, si bien que Oambaloh
est au milieu de cet estuaire comme une puissante citadelle. Des gens de
Waqwaq ayant abordé chez eux par la suite, ils leur demandèrent pourquoi
ils étaient venus précisément là et non ailleurs. Ils répondirent que c’était
parce qu’ils recherchaient les Zeng, à cause de la facilité avec laquelle ils
supportaient l’esclavage et à cause de leur force physique.
Ils dirent qu’ils étaient venus d’une distance d’une année de voyage qu’ils avaient pillé des
îles situées à six jours de route de Oambaloh et s’étaient rendus maîtres
d’un certain nombre de villages et de villes de Sofala des Zeng, sans parler
d’autres qu’on ne connaissait pas.
29. J. et M. FAUBLEE, 1963.
30. R. MAUNY, 1968, pp. 19 -34.
31. DEVIC, 1878 ; VAN DER LITH, 1883 -1886 ; repris par G. FERRAND, 1913 -1914,
pp. 586 -587.
Si ces gens-là disaient vrai et si leur rapport
était exact, à savoir qu’ils étaient venus d’une distance d’une année de
route, cela confirmait ce que disait Ibn Lakis des îles du Waqwaq ; qu’elles
étaient situées en face de la Chine. »32
Oambaloh est probablement l’île de Pemba ; du récit de cette incursion,
on peut supposer que les pirates venaient du Sud-Est asiatique, peut-être
via Madagascar à « six jours de route ».
Toujours est-il que, dans la première
moitié du Xe siècle, les Indonésiens sont dans cette région de l’océan Indien.
Pour l’instant, nous n’avons aucun élément pour affirmer que ces venues sont
bien antérieures au début du Xe siècle.
En faisant usage d’autres textes arabes retrouvés et traduits par Ferrand,
on se rend bien compte que ces habitants du Waqwaq sont des Noirs, mais
incluent peut-être des Indonésiens et forment déjà le complexe Protomalgache
biologiquement et linguistiquement mixte.
De toute façon, les navigations indonésiennes semblent se poursuivre vers la côte africaine jusqu’au
XIIe siècle, ainsi que l’atteste un passage d’Idrīsī : « Les Zendj n’ont point
de navires dans lesquels ils puissent voyager. Mais il aborde chez eux des
bâtiments du pays d’Oman et autres, destinés aux îles Zobadj (Zabedj,
c’est-à-dire Sumatra) qui dépendent des Indes. Ces étrangers vendent leurs
marchandises et achètent des produits du pays. Les habitants des îles Zabadj
vont chez les Zendj dans de grands et de petits navires et ils leur servent
pour le commerce de leurs marchandises, attendu qu’ils comprennent la
langue les uns des autres. »33
Dans un autre passage du même manuscrit d’Idrīsī, il est précisé : « Les
gens de Komr et les marchands du pays de Maharadja (Djaviga) viennent
chez eux [chez les Zendj], sont bien accueillis et trafiquent avec eux. »34
Dans les relations arabes, une confusion semble parfois surgir entre
Waqwaq et Komr ; or, les routiers d’Ibn Majid et de Salaimān al-Mahrī du
XVe siècle montrent fort bien que ce terme géographique de Komr désigne
Madagascar et quelquefois même les Comores et Madagascar ensemble ;
cette confusion est intéressante puisque ce sont probablement les Waqwaq
qui ont peuplé le pays de Komr.
La fin des migrations indonésiennes vers l’ouest
Il est possible que le renforcement des Echelles islamiques au début
du deuxième millénaire ait eu pour conséquence l’arrêt des voyages des
Indonésiens. Un passage d’Ibn el-Mudjawir (XIIIe siècle) rapporte à ce
sujet une intéressante tradition recueillie en Arabie, traduite par Ferrand35
32. SAUVAGET, 1954, p. 301, cité par J. et M. FAUBLEE, 1963.
33. IDRĪSĪ, manuscrit 2222 de la Bibliothèque nationale, fol. 16, vol. L. 9 -12 et aussi
G. FERRAND, 1913 -1914, op. cit., p. 552.
34. Fol. 21. vol. L. 1 -2.
35. G. FERRAND, op. cit., 1913 -1914.
1. Céramique chinoise de 2
Vohémar.
2. Marmite en pierre,
civilisation de Vohémar.
Photos Coll. musée d’Art et
d’Archéologie de Madagascar.
et que Deschamps considère à juste titre comme fondamentale : « Le
site d’Aden fut habité par des pêcheurs après la chute de l’Empire des
Pharaons [probablement l’Empire romain, dont le centre oriental était
Alexandrie]. Une invasion des gens d’Al Komr prit possession d’Aden, en
expulsa les pêcheurs, et établit des constructions de pierre sur les montagnes.
Ils naviguaient ensemble en une seule mousson. Ces peuples sont
morts et leurs migrations sont fermées. D’Aden à Mogadiscio, il y a une
mousson, de Mogadiscio à Kiloa, une deuxième mousson, de Kiloa à Al
Komr une troisième. Le peuple d’Al Komr avait réuni ces trois moussons
en une seule. Un navire d’Al Komr s’était rendu à Aden par cet itinéraire
en 626 de l’Hégire (1228) ; en se dirigeant vers Kiloa, on arriva par
erreur à Aden. Leurs navires ont des balanciers, parce que les mers sont
dangereuses et peu profondes. Mais les Barabar les chassèrent d’Aden.
Actuellement, il n’y a personne qui connaisse les voyages maritimes de
ces peuples, ni qui puisse rapporter dans quelles conditions ils ont vécu
et ce qu’ils ont fait. »
Si les navigations indonésiennes s’arrêtèrent sur la côte d’Afrique
assez tôt, cela ne signifie pas la suspension des relations entre l’Extrême-
Orient et l’ouest de l’océan Indien. Au contraire, le grand commerce
transocéanique paraît s’être développé, mais il est probable qu’il était
surtout assuré par les musulmans qui devinrent de plus en plus familiers
avec les itinéraires. Le routier d’Ibn Majid donne avec précision les latitudes
des villes de la côte d’Afrique et celles des territoires et comptoirs
indonésiens en face ; la traversée de l’océan Indien pouvait alors se faire
en 30 à 40 jours.
Par ailleurs, il n’est pas interdit de penser que si les Indonésiens ne
fréquentaient plus la côte d’Afrique, ils n’en ont pas moins continué à se
rendre directement à Madagascar, peut-être depuis les régions méridionales
de l’Inde. Les Néo-Indonésiens pourraient avoir emprunté cet itinéraire.
Nous savons qu’il est parfaitement praticable, puisqu’en 1930, sont arrivés
sains et saufs au cap Est des pêcheurs des îles Laquedives qui avaient
dérivé directement depuis leur archipel d’origine jusqu’à Madagascar. Ces
Néo-Indonésiens ont appris le dialecte malgache des gens de l’Est et ont
eu des contacts avec les islamisés qui possédaient alors des Echelles sur la
côte est.
Si la période pionnière des Néo-Indonésiens à Madagascar paraît avoir
effectivement eu lieu sur la côte est, on discute encore de la région d’installation
des premiers Indonésiens. Dahl a découvert que la terminologie des
points cardinaux en malgache et dans les langues indonésiennes est étroitement
apparentée, mais que les termes coïncident à condition que l’on fasse
pivoter la rose des vents malgache de 90 degrés. Ainsi, si en Maanjan, barat
signifie l’ouest, et timor l’est, les mots malgaches correspondants, avaratra
et atsimo signifient respectivement le nord et le sud. Le décalage s’explique
si l’on considère que pour les peuples marins, les points cardinaux se
définissent en fonction des vents ; le vent du nord qui apporte les orages
sur la côte nord-ouest de Madagascar correspond au vent d’ouest humide
de l’Indonésie, tandis que le vent sec du sud a été identifé à l’alizé sec
de l’Est indonésien. Cette explication de Dahl ne vaut que pour la côte
nord-ouest de Madagascar où, estime-t-il, les immigrants auraient abordé
en premier lieu. Selon Hébert, cette hypothèse séduisante ne résiste pas
à un examen critique. Si l’on s’attache plus aux caractéristiques générales
des vents (de pluie, de saison sèche) qu’à leur direction, on comprend que
les Protomalgaches, qui dénommaient barat laut le vent d’ouest porteur de
pluie en Indonésie, aient appliqué à Madagascar le mot avaratra au nord
d’où viennent les pluies, adoptant d’ailleurs une commune mesure entre
l’est et l’ouest. En effet, les pluies et orages de saison chaude viennent
plutôt du nord-est sur la côte est, et plutôt du nord-ouest sur la côte ouest.
Rien ne permet donc de dire que les Malgaches se soient d’abord installés
sur la côte nord-ouest36.
article 2.1.75 Immigrations africaines et swahili, Magadascar, afrique ancienne
Les immigrations africaines et swahili
La discussion des diverses hypothèses sur les aspects indonésiens de l’origine
des Malgaches ne nous a pas fait perdre de vue qu’une contribution
importante, voire majoritaire, du peuplement était d’origine africaine.
Pour expliquer cette symbiose afro-asiatique, Deschamps a mis en avant
deux hypothèses : celle du mélange ethnique et culturel sur la côte orientale
d’Afrique d’une part, et la possibilité de razzias indonésiennes sur le
littoral du continent voisin, d’autre part. Kent y voit également un impact
indonésien important en Afrique et une colonisation ultérieure vers Madagascar.
Dans l’état actuel d’un total manque d’informations archéologiques
sur les sites côtiers africains du Sud (Tanzanie-Mozambique) antérieurs au
VIIIe siècle, je me refuse à considérer ces théories autrement que comme
des hypothèses. Il est d’ailleurs tout à fait possible que la symbiose africano-
indonésienne ait commencé dans les îles Comores ou dans le nord de
Madagascar.
La supposition d’un peuplement pygmée archaïque à Madagascar
reprise périodiquement par des auteurs fait fi des données de la géologie
(la Grande Ile est isolée depuis le tertiaire) et des navigations (les Pygmées
ne sont pas navigateurs et n’ont pas participé à l’éclosion de la civilisation
maritime des Swahili). Les populations que l’on a cru « résiduelles » de ce
peuplement « pygmoïde », les Mikes par exemple, ne sont d’ailleurs pas de
petite taille.
A mon avis, ces populations d’origine africaine à Madagascar sont bantu ;
il est vraisemblable que leurs venues commencent dans l’île au plus tard à
partir du IXe siècle, comme pour les Indonésiens ; mais les migrations africaines
se sont probablement poursuivies jusqu’à l’aube des temps historiques
(XVIe siècle) ; on peut supposer qu’une grande partie des Africains est venue
en même temps et de la même façon que les islamisés ou les Swahili non
islamisés.
L’aspect prédominant indonésien du vocabulaire malgache ne peut
faire oublier la contribution des langues bantu ; elle existe comme il y a dans
36. J.C. HEBERT, 1968 (a), pp. 809 -820 ; 1968 (b), pp. 159 -205 ; 1971, op. cit., pp. 583 -613.
1. Rizières en terrasses près 2
d’Ambositra. A comparer
avec celles de Luçon aux
Philippines.
2. Exercice de géomancie,
extrême sud. (Documents
fournis par l’auteur.)
le créole des Antilles un vocabulaire essentiellement français (95 %) et des
éléments africains. La contribution bantu se situe donc sur deux plans : celui
du vocabulaire d’abord, mais aussi celui de la structure des mots. L’existence
des mots bantu dans tous les dialectes de Madagascar nous assure que les
Africains ne peuvent être considérés comme ayant joué un rôle tardif dans
le peuplement. Leur participation doit se trouver aux racines même de la
civilisation malgache. La langue malgache porte des traces d’une influence
bantu très forte. Cette influence est si grande et d’un tel caractère qu’elle
est inexplicable si l’on ne suppose pas un substrat bantu. Mais il y a plus.
O. Dahl démontre très clairement qu’en malgache le changement des finales
consonantiques (indonésiennes) en finales vocaliques a été causé par un
substrat bantu. Et, dans ce cas, ce changement a eu lieu peu de temps après
l’installation des Indonésiens parmi les Bantu, pendant la période où ceux-ci
s’adaptaient à la nouvelle langue37.
Il y a donc lieu de chercher la cause de la transformation du malgache
en langue à finales vocaliques non pas en Indonésie, mais à Madagascar
même. Si la langue parlée à Madagascar avant l’arrivée des Indonésiens
était une langue bantu, cette transformation est très compréhensible.
Parmi les langues bantu, celles qui tolèrent des consonnes finales sont de
rares exceptions, et je n’en connais aucune dans l’Est africain. Les gens
qui parlent une langue sans consonnes finales ont toujours des difficultés à
prononcer les consonnes finales d’une autre langue, tout au moins sans une
voyelle d’appui.
Tous ceux qui ont enseigné le français à Madagascar en
ont fait l’expérience !
Je suppose donc que le changement des finales consonantiques en finales
vocaliques a été causé par un substrat bantu. Et, dans ce cas, ce changement
a eu lieu peu de temps après l’installation des Indonésiens parmi les Bantu,
pendant la période où ceux-ci s’adaptaient à la nouvelle langue. C’est donc un
des premiers changements phonétiques après l’immigration à Madagascar.
On sait peu de choses de la place qu’occupa Madagascar dans l’expansion
bantu. On connaît beaucoup de Bantu marins, dont les Bajun de
Somalie étudiés par Grottanelli, les Mvit du Kenya, les anciens Makoa du
Mozambique, mais, sans témoignages archéologiques, il est difficile d’établir
des corrélations avec Madagascar. Pour Anjouan, on a récemment découvert
que le fonds linguistique de l’île devait être rattaché au Pokomo de la côte
kenyane (région de l’embouchure du fleuve Tana).
Cette île comorienne a
pu être un relais, mais aussi l’île Juan de Nova aujourd’hui fréquentée par les
pêcheurs de tortues et par les boutres38. Les Bantu ont dû venir à Madagascar
par les îles Comores. Il est donc naturel de penser que la ou les langues bantu
parlées autrefois à Madagascar, étaient étroitement apparentées à celles des
îles Comores. Les vieux mots bantu et malgaches viennent à l’appui de cette
hypothèse.
Par Ibn Battūta, nous savons qu’au début du XIVe siècle, la civilisation
swahili, sans être totalement islamique, était en plein essor ; ces marins de la
37. O. DAHL, 1951, op. cit., pp. 113 -114.
38. Instructions nautiques, GROTTANELLI, 1969, p. 159.
civilisation swahili primitive, islamisée ou non, ont eu, à notre avis, un rôle
fondamental dans les migrations africaines à Madagascar.
Il ne nous est pas possible de démêler, pour l’instant, les apports successifs,
mais bien des auteurs ont ressenti l’hétérogénéité du peuplement
de l’ouest et du nord de Madagascar. Mellis, tout au long de son livre sur
le nord-ouest, souligne le contraste entre les gens de la mer (antandrano) et
ceux de l’intérieur (olo boka antety), contraste qui se retrouve à l’occasion de
certains rites funéraires.
Parmi les populations au physique africain dominant, certaines reconnaissent
leur origine ultra-marine et en tirent la conséquence pour leurs coutumes
: c’est le cas des Vezo-Antavelo sur tout le littoral ouest et nord-ouest.
Les Kajemby ont toujours leurs cimetières sur les dunes du littoral, ils se
reconnaissent apparentés aux Sangangoatsy ; ceux-ci habitent maintenant à
l’intérieur, vers le lac Kinkony ; il n’en a pas toujours été ainsi, car les cartes
et les récits portugais du début du XVIIe siècle indiquent la mention Sarangaço
ou Sangaço (une déformation de Sandagoatsy) sur les bords de la baie de
Marambitsy. Depuis trois siècles et demi, les Sandagoatsy ont tourné le dos à
leurs origines marines. Il en a été de même, sans doute, pour les Vazimba du
Moyen-Ouest et des Hautes-Terres.
Les déplacements de Bantu marins à partir du IXe siècle nous rendent
compte, certes, de la contribution africaine au peuplement malgache ;
il reste à expliquer comment la langue indonésienne est devenue lingua
franca ; certes, il y a eu rencontre avec les Indonésiens et on peut penser
qu’entre les populations africaines parlant des langues ou dialectes différents,
l’indonésien est devenu peu à peu une langue véhiculaire ; mais
un damier linguistique et ethnique a dû se maintenir assez longtemps au
moins sur la côte vers Baly et Maintirano (le Bambala de Moriano), sur la
Tsiribihina (selon Drury) et parmi certains groupes Vazimba de l’intérieur
(selon Birkeli et Hébert).
Ces Vazimba de l’époque archaïque avaient un genre de vie assez primitif sur le plan économique. Ils étaient pêcheurs sur
les côtes, mais dans l’intérieur ils dépendaient probablement très largement
de l’exploitation brute des ressources du milieu naturel. La cueillette, la
chasse et la récolte du miel suffisaient, sans doute, à leurs besoins. Selon
Drury, les Vazimba de la Tsiribihina étaient des pêcheurs en rivière. On a
trouvé dans les fouilles des accumulations très importantes de coquillages
consommés par ces populations au genre de vie cueilleur vers Ankazoabo
et vers Ankatso. La symbiose entre les Indonésiens et les Africains s’est
faite dès l’aube du peuplement malgache. Quelques Bantu marins devaient
être islamisés avant le Xe siècle. Je suis frappé par le fait que les personnes
islamisées à Madagascar et toutes les populations des côtes ouest et
nord-ouest partagent en commun le même mythe sur leur origine, celui
de Mojomby ou de « l’île disparue ». J’ai d’ailleurs rapporté ce mythe sous
une forme littéraire telle que me l’ont présenté les Antalaotse de la baie
de Boina. Selon les informateurs, Selimany Sebany et Tonga, les ancêtres
des Kajemby et ceux des Antalaotse habitaient jadis ensemble dans une île
située entre la côte d’Afrique et les Comores. Ils vivaient de commerce et
pratiquaient la religion musulmane. Lorsque l’impiété et la discorde s’ins1.
Tombeau antalaotse
d’Antsoheribory.
2. Céramiques de Kingany et de
Rasoky (XV e siècle).
3. Hameçons de Talaky
(XII e siècle) (Documents fournis
par l’auteur.)
tallèrent dans l’île, Allah résolut de les punir ; l’île fut submergée par une
mer furieuse et quelques justes échappèrent au châtiment, certains disent
qu’ils furent miraculeusement épargnés, d’autres prétendent que Dieu
envoya une baleine pour les porter ; Kajamby et Antalaotse sont descendus
de ce contingent de justes. Il est donc vraisemblable que les islamisés n’ont
pas participé à un phénomène superimposé, mais qu’ils ont pu jouer un
rôle catalytique dans les migrations africaines à Madagascar.
2.1.80 Premiere age, afrique ancienne, afrique subssajarienne - afrique de l'ouest
Les sociétés de l’Afrique subsaharienne au premier Age du fer
M. Posnansky
Mali, la Haute-Volta, le Niger, la Sierra Leone et Madagascar. Là même où
des recherches sérieuses ont pu être entreprises, elles restent extrêmement
localisées, comme au Sénégal et au Tchad. Il convient de remarquer que s’il
existe des Services des antiquités depuis le XIXe siècle dans certaines parties
du nord de l’Afrique (depuis 1858 en Egypte), dans de nombreux pays de
la région sub-saharienne les recherches n’ont commencé qu’avec l’indépendance
et la création d’universités et de musées nationaux. Quoi qu’il en soit,
l’établissement d’une chronologie par le radiocarbone a radicalement modifié
notre connaissance du premier Age du fer au cours des dix dernières années
et permet de se faire une idée très générale de la dimension temporelle des
diverses transformations économiques.
2.1.81 Premiere age, afrique ancienne, afrique de l'ouest exploitation des minéraux
L’exploitation des minéraux
Quatre minéraux d’importance plus que locale étaient exploités pendant la
période qui nous intéresse ; ce sont, dans l’ordre de leur mise en exploitation,
le cuivre, le sel, le fer et l’or. L’utilisation de la pierre s’est naturellement
poursuivie même après l’emploi des métaux pour la fabrication des
outils et des armes les plus importants.
Le cuivre
L’extraction du cuivre a commencé en Mauritanie probablement pendant
le premier quart du dernier millénaire avant notre ère. Il semble, d’après
la forme des objets de cuivre découverts dans cette région, qu’elle ait été
encouragée par des contacts avec le Maroc. L’aspect de ces premières
mines est très mal connu, mais on peut penser qu’elles étaient relativement
peu profondes1. Les mines de Mauritanie sont les seules dont nous sachions
de manière certaine qu’elles étaient en activité avant l’an 1000. Il existe
d’autres gisements de cuivre au Mali et au Niger, dans les régions de Nioro
et de Takkeda et ils étaient certainement exploités au début du deuxième
millénaire, mais nous ignorons depuis combien de temps et nous ne savons
pas quand ils ont été découverts.
D’après le témoignage d’auteurs arabes et de textes classiques2, le cuivre
semble avoir été un élément du commerce transsaharien dès le premier
millénaire ; acheminé vers le sud, il était peut-être échangé contre de l’or
transporté vers le nord. Les lingots découverts à Macden Ijafen attestent
l’importance de ce commerce à une époque légèrement postérieure (XIe ou
XIIe siècle). Les objets trouvés à Igbo Ukwu, à l’est du Nigeria, présentent un
intérêt capital pour l’appréciation de l’échelle de ces échanges. S’ils datent
vraiment du IXe siècle, comme l’affirment à la fois le directeur des fouilles,
Thurstan Shaw3, et M. Wai-Andah au chapitre 24, le grand nombre des objets déjà découverts et le nombre encore plus grand de ceux qui devraient
normalement l’être dans des sites similaires, démontrent que ce commerce
était très développé dès le VIIIe ou le IXe siècle.
1. N. LAMBERT, 1971, pp. 9 -21.
2. M. POSNANSKY, 1971, pp. 110 -25.
3. Th. SHAW, 1970 (a).
l’afrique subsaharienne au premier âge du fer
De nombreux spécialistes4,
cependant, n’acceptent pas une date aussi ancienne et attribuent ces objets
à une époque avancée du deuxième millénaire. La répartition des minerais
de cuivre en Afrique étant, pour des raisons géologiques, extrêmement
localisée, l’abondance des trouvailles d’Igbo ne peut s’expliquer que par des
échanges commerciaux. Shaw pense que la technique de la fonte à la cire
perdue est venue du nord et qu’elle est probablement d’origine arabe. Avec
l’exception possible d’Igbo Ukwu, les objets de cuivre sont d’une rareté
surprenante en Afrique de l’Ouest avant l’an 1000, sauf au Sénégal et en
Mauritanie, qui se trouvent à proximité soit des mines d’Akjoujt, soit de la
route commerciale du Sahara occidental. La vallée du Niger en amont de
Ségou, où se trouvent des tumulus spectaculaires comme ceux d’el-Ouladji
et de Killi, est une région où il est possible de dater des objets de cuivre de
la fin du premier millénaire. Le cuivre ayant servi à leur fabrication peut
provenir de gisements situés au Sahel (Mali ou Niger), ou avoir été obtenu
par le moyen d’échanges commerciaux. La plupart de ces objets ont malheureusement
été découverts au début du siècle et sont maintenant perdus.
Seules nous restent les illustrations des rapports de fouilles qui ne font
qu’exciter notre curiosité. L’analyse spectrographique devrait aider à déterminer
la provenance du métal, mais la difficulté avec les objets de cuivre est
qu’ils sont souvent constitués d’un mélange de métal vierge et de métal de
réemploi.
La détection de certains oligo-éléments pourrait cependant permettre
de déterminer si les minerais de Nioro et Takkeda étaient exploités
au moment de l’édification des tumulus.
D’autres gisements cuprifères étaient exploités à cette époque dans la
région du Shaba au Zaïre où les fouilles de Sanga et de Katoto ont livré des
objets de cuivre en abondance. Il convient cependant de noter que, suivant
la division tripartite suggérée par Nenquin qui a fouillé des sites5, la phase la
plus ancienne, ou Kisalien, est représentée par 27 tombes dont deux seulement
contenaient des lingots de cuivre. Ceci semble indiquer que, pendant
le Kisalien qui s’étend du VIIe au IXe siècle, le cuivre était exploité pour la
fabrication de parures mais n’était pas du tout abondant. La zone cuprifère
de la Zambie du Nord était également exploitée à cette époque ; la datation
de l’exploitation minière de Kansanshi6 indique 400 ± 90 de notre ère.
Néanmoins, les objets de cuivre étaient alors plus nombreux en Zambie du
Sud qu’en Zambie du Nord. Les premiers objets de cuivre trouvés dans le
sud du pays, encore bien peu nombreux, provenaient probablement de la
région de Sinoia au Zimbabwe et de gisements situés en Zambie orientale.
Nous ignorons encore tout des méthodes d’exploitation utilisées dans ces
deux régions.
Ailleurs en Afrique, le cuivre était très rare et il n’apparaît dans
les sites d’Afrique orientale qu’à une époque bien postérieure.
4. B. LAWAL, 1973, pp. 1 -8 ; M. POSNANSKY. 1973 (b), pp. 309 -11.
5. J. NENQUIN, 1963.
6. M.S. BISSON, 1975. pp. 276 -92.
2.1.82 article sel, mineral, afrique ancienne, afrique de l'ouest
Le sel
Le sel était un minéral très recherché, en particulier au début de l’agriculture.
Les chasseurs et les collecteurs trouvaient probablement dans le
gibier et les végétaux frais la plus grande partie du sel qu’ils absorbaient.
Le sel ne devient un complément indispensable que dans les régions très
sèches où il est impossible de trouver des aliments frais et où la transpiration
est généralement excessive. Un apport de sel devient cependant
extrêmement souhaitable dans les sociétés d’agriculteurs à régime alimentaire
relativement limité. Nous n’avons aucune idée de la date à laquelle
furent exploités pour la première fois les gisements de sel saharien de
Taghaza d’Awlil. Les textes arabes du dernier quart du premier millénaire
attestent cependant l’existence d’un commerce saharien du sel au premier
millénaire. Il est probable que l’extraction du sel est, en partie, aussi
ancienne que celle du cuivre et que le développement des établissements
de Tichitt, en Mauritanie — région où un mode de vie sédentaire propre
à ces deux zones peut avoir imposé le besoin d’un apport de sel. Nous
sommes assez bien documentés sur les activités minières de la période
médiévale dont il sera question dans les volumes ultérieurs, mais, pour
cette époque, les informations nous font défaut. Sans doute les opérations
d’extraction étaient-elles alors assez simples. Le sel devait se présenter en
dépôts superficiels dans diverses régions du Sahara, à la suite du processus
de dessèchement qui s’était produit après – 2500. L’homme avait peut-être
observé les lacs, marais et étangs desséchés qui attiraient les animaux sauvages.
Les dépôts superficiels de sel, d’autre part, ont souvent une couleur
très caractéristique.
Plusieurs sites primitifs d’exploitation du sel ont été repérés en Afrique
: à Uvinza7 à l’est de Kogoma en Tanzanie, à Kibiro8 sur les bords du
lac Mobutu Sese Seko en Ouganda, à Basanga en Zambie9 et probablement
aussi à Sanga10 au Zaïre et dans la vallée de Gwembe en Zambie. A Uvinza,
l’extraction du sel était probablement rudimentaire car les découvertes du
Ve et du VIe siècle faites aux sources salées n’étaient pas associées avec les
réservoirs à saumure de pierre qui caractérisaient l’occupation du second millénaire.
Le sel provenait également de sources salées à Kibiro, où un système
perfectionné d’ébullition et de filtrage pourrait dater du premier millénaire,
car l’occupation du site serait autrement difficilement explicable. A Basanga,
les bas-fonds salés ont été occupés dès le Ve siècle et bien que le fait n’ait pas
encore été définitivement établi, il est possible que le sel ait été exploité très
tôt, probablement par évaporation. Ailleurs, le sel était vraisemblablement
obtenu par les divers procédés qui se sont conservés jusqu’au XIXe siècle et
qui consistaient à calciner ou à faire bouillir des herbes ou même des fientes
de chèvre, recueillies dans des régions connues pour la salinité de leurs sols,
7. J.E.G. SUTTON et A.D. ROBERTS, 1968, pp. 45 -86.
8. J. HIERNAUX et E. MAQUET, 1968.
9. A.D. ROBERTS, 1974, p. 720.
10. B.M. FAGAN, 1969, p. 7.
puis à faire évaporer la saumure ainsi obtenue et à éliminer les plus grosses
impuretés par filtrage.
Les passoires employées au cours de ces opérations sont très communes
à l’Age du fer, mais ces vases pouvaient aussi servir parfois à d’autres préparations
alimentaires ; et il est souvent très difficile de les lier avec certitude à
la fabrication du sel.
article 2.1 84 Le fer, mineral, afrique ancienne, afrique de l'ouest
Le fer
Le minerai de fer a été utilisé au Swaziland11 dès le Mésolithique comme
pigment. Il semble que les pigments corporels, puis les ocres et les oxydes
de fer destinés à la décoration de surfaces rocheuses aient été activement
recherchés dès le Paléolithique. Un morceau de matière colorante composée
d’hématite a même été apporté dans le bassin d’Olduvai par des hommes
utilisant un outillage du Paléolithique ancien. Au Néolithique, des mines
de manganèse12, de fer spéculaire13 et d’hématite étaient régulièrement
exploitées en Zambie, au Swaziland et dans le nord de la région du Cap14.
Des fouilles effectuées sur certains chantiers de Doornfontein ont mis au
jour une véritable exploitation minière avec galeries et salles souterraines
qui aurait permis l’extraction de près de 45 000 tonnes de fer spéculaire à
partir du IXe siècle, probablement par des populations de langue Khoisan.
Il est vraisemblable que l’existence de mines de ce genre et la connaissance
qu’elles supposent des minerais métalliques et de leurs propriétés
ont contribué au développement rapide d’une technologie du fer durant la
première moitié du premier millénaire.
Les mines de fer ne sont pas aussi clairement attestées dans les autres
régions de l’Afrique sub-saharienne, où la croûte latéritique des régions
tropicales semble avoir été la source de minerai de fer la plus probable.
Le fer des marais, cependant, était utilisé dans la vallée inférieure de la
Casamance au Sénégal15 et à Machili en Zambie ,16.
Le fer ainsi obtenu
était concassé en très petits fragments qui étaient ensuite triés à la main
pour être fondus.
Il est possible qu’il y ait eu véritable extraction minière et
non plus simple collecte en surface de latérite, au nord de la Gambie, dans
la région des mégalithes de Sénégambie qui sont eux-mêmes des blocs
de latérite. L’utilisation de ces mégalithes comme structures rituelles et
le développement d’une technologie du fer au premier millénaire dans la
région indiquerait qu’il n’y a qu’un pas à franchir pour passer à une véritable
extraction minière de la latérite à des fins métallurgiques. Il est possible
que le développement de la fonte de la latérite ait donné l’idée d’extraire la
latérite pour la construction. Un processus analogue peut également s’être
produit en Centrafrique où il existe également des mégalithes.
D’après
11. R.A. DART et P. BEAUMONT, 1969 (a), pp. 127 -128.
12. R.A. DART et P. BEAUMONT, 1969 (b), pp. 91 -96.
13. A. BOSHIER et P. BEAUMONT, 1972, pp. 2 -12.
14. P. BEAUMONT et A. BOSHIER, 1974, pp. 41 -59.
15. O. LINARES DE SAPIR, 1971, p. 43.
16. J.D. CLARK et B.M. FAGAN, 1965, pp. 354 -371.
Wai-Andah (chapitre 24), le fait que l’exploitation de la latérite est plus
facile que l’extraction de l’hématite peut étayer la théorie, jusqu’à maintenant
non confirmée, d’une origine indigène de la technologie du fer en
Afrique. La latérite, lorsqu’elle est humide et recouverte d’une couche
de sel, est relativement friable et beaucoup plus facile à creuser qu’une
roche normale.
Malheureusement, à l’exception des mines d’Afrique australe,
aucune zone indiscutable d’exploitation minière du fer n’a encore
été découverte ou datée de manière précise. Il est possible que les haches
d’hématite uéliennes du nord-est du Zaïre et de l’Ouganda datent de l’Age
du fer et soient des imitations de haches de fer forgé.
article 2.1.85 l'or, afrique ancienne, mineral, afrique de l'ouest
L’or
L’or était presque certainement extrait du sol ou recueilli par orpaillage en
Afrique de l’Ouest à l’époque qui nous intéresse. Les sources arabes permettent
de penser qu’il existait des mines d’or, mais aucune de celles-ci n’a
été localisée, fouillée ou datée et nous n’avons recueilli aucun témoignage
des procédés de raffinage employés.
Ceux-ci devaient cependant être similaires
à ceux que nous connaissons bien pour des périodes ultérieures17. Les
principales régions pour lesquelles il existe des témoignages, en partie non
contemporains, d’une exploitation de l’or, étaient situées près des sources du
Niger et du Sénégal (Guinée et Mali actuels) et sont connues sous le nom
de Bambouk et Bouré.
L’extraction de l’or au nord-est du Zimbabwe dans
des mines à ciel ouvert en galeries peu profondes ou en gradins, dont traite
Phillipson au chapitre 27, est relativement mieux attestée, mais il n’existe
aucune preuve indiscutable permettant d’affirmer que cette exploitation est
antérieure au VIIIe ou IXe siècle. Il semble que les minerais extraits étaient
broyés au moyen de pilons de pierre.
Il est possible que les essais de différents minerais au cours de l’Age
de pierre aient servi de base par la suite à l’extraction sur une plus grande
échelle du cuivre et de l’or. Les nombreux objets de cuivre découverts sur
les sites fouillés nous permettent de déterminer la date à partir de laquelle
le cuivre a été utilisé pour la fabrication d’outils et de parures, mais il a été
trouvé peu d’or dans des sites du premier millénaire. Ce métal était trop
précieux pour être purement et simplement perdu. Les seuls objets d’or de
haute époque sont ceux des tumulus du Sénégal et datent de la fin de la
période qui nous intéresse.
2.1.86 article, la pierre, afrique ancienne, afrique de l'ouest
La pierre
La pierre était presque certainement extraite à des fins variées, la plus
importante étant la fabrication d’outils de pierre polie et de meules. De
nombreuses sociétés utilisaient des meules dormantes et portaient leurs graines
jusqu’à un affleurement rocheux où elles pouvaient à la fois faire sécher
leurs provisions et moudre des graines ou broyer des aliments végétaux.
17. N. LEVITZION, 1973.
l’afrique subsaharienne au premier âge du fer
Ces affleurements, cependant, ne se trouvent pas partout, et il est évident que
les roches pour la fabrication des meules dormantes ou courantes devaient
être recherchées et souvent acheminées sur de longues distances. Cet aspect
de l’archéologie n’a malheureusement guère attiré l’attention en Afrique
jusqu’à maintenant. Dans les années à venir, lorsque les archéologues et les
géologues seront plus nombreux et lorsque la carte géologique du continent
aura été bien établie, l’analyse pétrographique de tous les types de roches
insolites et la recherche de leur région géologique d’origine se feront couramment.
Divers ateliers de fabrication de haches ont été découverts, tel
celui de Buroburo18 au Ghana, ainsi qu’un atelier de fabrication de meules
datant du Ier siècle avant notre ère à Kintampo19, également au Ghana. Dans
ce dernier site, un grand nombre d’outils de broyage partiellement terminés
ont été découverts avec des meules dans un abri sous roche créé en grande
partie par l’homme en disloquant la roche par le feu.
Les curieuses râpes
à section ovale (également appelées « cigares »), si caractéristiques de l’archéologie
du Ghana, semblent pour une partie avoir été façonnées dans un
seul type de roche qui faisait l’objet d’échanges commerciaux sur un vaste
territoire20. Dans l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne, des rainures ayant
généralement de 10 à 12 centimètres de large et dont la longueur peut
atteindre 50 centimètres signalent les endroits où des pierres dégrossies
et convenablement débitées étaient polies et transformées en haches, en
herminettes et en ciseaux. Il est probable que le processus d’extraction,
même sur une petite échelle, de meulage, de polissage et d’échange des
ébauches ou des produits finis s’est poursuivi tout au long de la période qui
nous intéresse, en décroissant à mesure que le fer remplaçait la pierre. Dans
certaines régions, cependant, les outils de pierre polie étaient encore en
usage au second millénaire. De manière assez surprenante, peu d’outils de
pierre polie ont été découverts en Afrique orientale et australe, alors qu’ils
sont très communs en Afrique occidentale.
La lave vacuolaire grise, qui, comme la latérite, est plus facile à façonner
à sa première exposition à l’air, était extraite au Kenya et peut-être en
Tanzanie, au premier millénaire avant notre ère, et servait à fabriquer des
bols de pierre. L’usage de ceux-ci est inconnu, et ils ont été découverts en
grand nombre associés à des sépultures. Leur matière est trop tendre pour
qu’ils permettent de broyer autre chose que des aliments végétaux. Des bols
similaires ont été découverts en Namibie, mais partout ailleurs ils sont rares.
Il est une autre activité relativement peu étudiée mais dont l’existence
ne fait pas de doute : la recherche de pierres semi-précieuses pour la fabrication
de perles. Les pierres le plus communément utilisées étaient les cornalines
et diverses formes de calcédoine comme l’agate et le jaspe ainsi que des
quartz cristallins (ou cristal de roche). Elles servaient à fabriquer des perles
qu’on trouve dans toute l’Afrique sub-saharienne, souvent dans des tombes
comme celles des grottes de la rivière Njoro au Kenya, qui datent du Xe siècle
18. R. NUNOO, 1969, pp. 321 -333.
19. P.A. RAHTZ et C. FLIGHT, 1974, pp. 1 -31.
20. M. POSNANSKY, 1969 -1970, p. 20.
avant notre ère, ainsi que dans des sites d’habitation. A Lantana, au Niger21,
une mine d’où l’on extrait une pierre rouge (jaspe) encore vendue actuellement
pour la fabrication de perles est réputée d’origine très ancienne, mais
il est impossible, en pareil cas, de déterminer une date exacte. Les perles
de pierre sont rarement abondantes mais elles témoignent d’une recherche
systématique de certains types de roches bien connus. La fabrication de ces
perles a naturellement commencé à l’Age de pierre et s’est poursuivie pendant
l’Age du fer, pour être ensuite progressivement remplacée par les perles
de traite en verre, moins coûteuses, plus faciles à fabriquer et finalement plus
accessibles.
2.1.87 Le commerce, afrique ancienne, afrique de l'ouest
Le commerce22
Certaines formes d’échange entre groupes humains existaient probablement
dès une époque relativement ancienne de l’Age de pierre. L’échange de
pierres brillantes ou utiles, de miel contre de la viande, et parfois même de
femmes, marquait probablement les rencontres entre peuples collecteurs,
si nous en jugeons d’après l’étude des chasseurs et ramasseurs modernes.
Ces échanges, d’importance à la fois rituelle et économique, ont dû devenir
réguliers avec le développement d’un mode de vie agricole mais, dès l’Age
de la pierre récente, les individus spécialisés dans la pêche, la collecte des
produits de la mer ou la chasse devaient mener une existence relativement
sédentaire et avoir donc besoin de pierres et autres matériaux qu’ils ne pouvaient
pas se procurer localement. Il est possible que certains outils en os
comme les harpons, dont la fabrication demandait une habileté supérieure à
la moyenne, aient fait l’objet d’un commerce. Il est cependant raisonnable
de conclure que l’apparition d’une agriculture impliquant une existence
sédentaire, ou des déplacements saisonniers ou périodiques, a entraîné un
développement du commerce. Ce commerce, de caractère sans doute relativement
restreint et local, devait porter sur des articles comme le sel, certains
types de pierres et, plus tard, sur des outils de fer, des perles, des coquillages,
peut-être des plantes à usage médicinal ou rituel, de la viande pour
les communautés agricoles, des graines et des tubercules pour les groupes
pastoraux, des outils spécialisés ou des substances comme des poisons pour
la pêche et la chasse, des poissons séchés et toutes sortes d’objets ayant une
valeur de rareté comme des graines peu communes, des griffes et des dents
d’animaux, des pierres curieuses, des os, etc., pouvant avoir une valeur
magique et qui garnissent encore aujourd’hui certains étals des marchés
d’Afrique de l’Ouest. A l’exception des outils de pierre polie, des meules et
du sel mentionnés ci-dessus, nous ne savons rien de ce commerce.
Le commerce a changé de caractère avec l’apparition du métal. Le cuivre
et l’or sont plus localisés que les pierres et ils ont été recherchés à la
fois par des communautés situées au nord du Sahara et des communautés
situées à l’est, le long de l’océan Indien.
Les cauris et autres coquillages de
21. M.C. DE BEAUCHENE, 1970. p. 63.
22. Voir chapitre 21 et M. POSNANSKY, 1971, op. cit.
l’océan Indien dont la présence est attestée du IVe au VIe siècle en Zambie
dans des sites comme Kalundu et Gundu, à Gokomere au Zimbabwe et à
Sanga au coeur du continent, témoignent d’un commerce dépassant le cadre
local. Il est certain que ces objets souvent découverts isolément pouvaient
n’être que des curiosités transmises de groupe à groupe de la côte vers l’intérieur,
mais il est significatif qu’ils apparaissent dans des régions dont les
ressources présentaient un intérêt pour le monde extérieur. La présence de
lingots de cuivre dans les sites d’Afrique centrale et du Sud est le signe d’une
complexité croissante des échanges commerciaux, et l’abondance des objets
découverts dans les tumulus du Sénégal et à Sanga souligne la prospérité de
ce commerce ainsi que le développement de structures sociales et politiques
qui tiraient profit de la richesse ainsi créée. Rien ne permet de supposer que
le volume de ce commerce ait été très important à cette époque, même à
travers le Sahara, mais les réseaux étaient désormais établis.
Nous disposons
également de peu d’indications sur l’existence de marchés ou de centres
de distribution en Afrique sub-saharienne, bien que des références arabes
à l’ancienne capitale du Ghana suggèrent qu’il en existait probablement
avant l’intensification du commerce provoquée par la conquête de l’Afrique
du Nord par les Arabes. Les cours des chefs jouaient certainement le rôle
de centres de redistribution, comme semblent l’indiquer les objets variés
découverts dans les tumulus du Mali et du Sénégal. Nous devons malheureusement,
pour cette période, nous borner à des conjectures fondées sur
une information très fragmentaire.
Des perles de verre, datant de la dernière moitié du premier millénaire
et certainement importées, ont été découvertes dans différents sites de
Zambie, au Shaba (Zaïre) et à Zimbabwe. Une tentative récente23 en vue de
déterminer à la fois la date et l’origine de ces perles de la « route des alizés »
de l’océan Indien s’est révélée assez décevante. Ces perles se rencontrent
tout autour de l’océan Indien, des Philippines à la côte de l’Afrique orientale.
Il a été suggéré qu’elles pouvaient venir du Levant, où Hébron était un centre
ancien de fabrication de perles, comme d’Alexandrie ou des Indes. Ces
perles sont habituellement de petites perles en tube recuites et d’une variété
de couleurs unies.
Nous savons que certaines fabriques des Indes ont exporté ces perles à
partir du IXe siècle, mais il est très difficile de les rattacher à des fabriques
précises sans des analyses approfondies. Plus de 150 000 perles similaires ont
été trouvées à Igbo Ukwu et, si l’on attribue à ce site une date ancienne, on
peut admettre l’existence d’un important commerce de perles à travers le
Sahara vers la fin du premier millénaire de notre ère.
Selon Summers24, c’est le commerce de l’océan Indien qui a amené à
adopter les méthodes indiennes de prospection et d’extraction dans l’industrie
de l’or de Zimbabwe, mais cette théorie n’a guère suscité d’écho.
L’or était
probablement déjà exploité au moment où le commerce en provenance de la
23. C.C. DAVIDSON et J.D. CLARK, 1974, pp. 75 -86.
24. R. SUMMERS, 1969, pp. 236.
côte d’Afrique orientale a atteint la région de Zimbabwe. Nous savons trop
peu de choses à la fois des méthodes primitives d’extraction et du commerce
de l’or au premier millénaire pour les rattacher à une influence extérieure.
Le commerce de la côte de l’Afrique orientale a été étudié au chapitre 22 et
il montre l’étendue des contacts de l’Afrique avec les régions riveraines de
l’océan Indien.
Ce commerce étendu n’était cependant pas intensif et il a à
peine affecté l’intérieur du continent avant l’an 1000, à l’exception, au Mozambique,
des vallées des rivières Mazoe et Ravi qui donnent accès à Zimbabwe.
Les thèmes principaux,
de l’histoire de l’Afrique,
subsaharienne
Pendant le dernier quart
du premier millénaire de notre ère
Il convient maintenant d’examiner la possibilité d’aboutir à des conclusions
sur l’état de la société africaine à la fin du premier Age du fer à partir de
la masse d’informations descriptives présentées au long des huit derniers
chapitres. Cette période a été témoin de l’évolution de l’économie subsaharienne
depuis le stade de la chasse et de la cueillette jusqu’à celui d’une vie
dépendant principalement de l’agriculture. Il est certain que la population
s’accroissait : il en est résulté une vie plus stable, des villages et des unités
sociales plus importantes. Il est difficile de définir les structures sociales qui
s’ébauchent ; mais, dans presque toute l’Afrique, il s’agit vraisemblablement
de villages relativement modestes, comprenant une ou plusieurs lignées ayant
elles-mêmes des ramifications plus étendues, fondées sur des rapports entre
clans. Dans la plupart des secteurs, la densité de la population est faible ;
elle est de l’ordre d’une poignée d’habitants au kilomètre carré. Succédant
aux rapides mouvements initiaux consécutifs à l’apparition du fer, assumant
le défrichage des régions africaines les plus boisées, des communautés se
sont établies.
Nous possédons des preuves de leur isolement par suite de
la divergence des différents membres des mêmes familles linguistiques et
de la diversité croissante des formes et des décorations des céramiques qui
se manifestent dans la plupart des régions aux alentours de l’an 600 à l’an
1000 de notre ère. Des estimations démographiques, fondées à la fois sur les
données historiques offertes par l’Afrique du Nord et sur une extrapolation
à partir de faits ethnographiques et de statistiques de recensement coloniales,
indiquent, avant l’an 1000, une population sensiblement inférieure à 10
millions pour l’ensemble de l’Afrique sub-saharienne. Si nous pouvons nous
fier aux indications orales relatives au passage, particulièrement en Afrique
orientale, de sociétés matriarcales à des sociétés patriarcales, au cours des cinq
derniers siècles, alors nous nous trouvons presque sûrement en présence de
sociétés matriarcales dans la plus grande partie de l’Afrique tropicale.
D’après la répartition des vestiges archéologiques, la forêt ouest-africaine
semble n’avoir été occupée que d’une façon très clairsemée, bien
que certaines parties du Nigeria méridional paraissent avoir constitué une
exception. Des régions qui, tel le plateau de Jos, sont aujourd’hui moins
recherchées par suite de l’amincissement de leur sol et du peu d’abondance
des précipitations, semblent, à cette époque, avoir offert plus d’attraits à des
populations ne disposant que d’une technologie moins sophistiquée. La plus
grande densité se rencontre dans la savane boisée et dans les zones dites de
forêt sèche.
Le grand nombre de sites découverts dans les méandres du delta
du Niger au Mali, entre Ségou et Tombouctou — où plus de dix millions
de kilomètres carrés sont inondés chaque année, inondations dispensant
l’eau (et une fertilité accrue) dans un environnement par ailleurs marginal
—, indique que ce territoire était également propice aux agriculteurs et aux
pasteurs de jadis. C’est une région où la pêche n’a cessé d’être fructueuse et
où le commerce s’est développé avec rapidité. Cette dernière activité a été
facilitée par les commodités offertes par le mouvement du fleuve et l’obligation
de transporter des éléments de première nécessité tels que le bois de
chauffage ou de construction, ou l’herbage, vers des régions n’ayant que peu
de ressources végétales. Il semble peu probable que la « brousse » plus sèche
de Tanzanie centrale, de l’Ouganda du Nord ou du Kenya ait été occupée
par des agriculteurs et il en est certainement de même pour les secteurs plus
arides et les secteurs de haute altitude (tel le Lesotho) de l’Afrique du Sud.
Les vallées fluviales — comme celles du Zambèze, du Kafué, du Haut-Nil —
et certains points du littoral des lacs Nyasa, Victoria, Kivu et même d’autres,
plus petits, semblent avoir provoqué l’établissement de colons. Toutefois les
situations de transition, présentant la possibilité d’exploiter les ressources
alimentaires de deux secteurs écologiques ou plus (forêts et savane, plaine
et piémont), ont été particulièrement favorisées.
De tels avantages se rencontrent
indéniablement à la limite méridionale de la savane de l’Afrique de
l’Ouest ou en bordure de la forêt du Zaïre, d’où il était plus aisé de pénétrer
lentement dans les lisières de la forêt où l’on trouverait des terres de culture
tout en tirant parti de ses ressources naturelles : gibier, richesse du bois sous
toutes ses formes, y compris l’écorce pour les vêtements, et fruits sauvages.
La forêt présentait une véritable frontière mouvante et les nouveaux groupes
y ont pénétré lentement ; d’abord pour la chasse et la cueillette, puis
pour s’y établir. D’une façon générale, il s’agit d’établissements agricoles,
principalement dans les zones où les précipitations se chiffrent entre 600
et 1400 mm par an. Les activités pastorales et des cultures saisonnières de
courte durée étaient naturellement possibles dans une région comme le
Sahel où la moyenne des pluies ne dépasse pas 150 mm.
Bien que, dès le
début du millénaire, les moutons se rencontrent dans le sud, aussi loin que
le Cap, et qu’il y ait eu des pasteurs tant au Cap que dans certains secteurs
du Sahel et du Soudan, les sociétés purement pastorales n’ont pas dominé
au cours de cette époque. Lorsqu’on en découvre, les Kraals sont de petite
taille. Il semble que les cultivateurs du Nord aient été mieux adaptés que
ceux du monde bantu à s’accommoder des régimes de faible pluviométrie, ce
qui est, peut-être, un vestige de leur ascendance néolithique et des premiè792
afrique ancienne
res cultures de plantes comme les millets et le sorgho. Il semble que, nulle
part, les côtes n’aient compté beaucoup d’établissements et on ne trouve pas
de lointaines traditions de pêche liées à l’utilisation de bateaux. Il existe des
monceaux de détritus de coquilles, d’arêtes et, dans certaines localités, d’os
d’animaux, comme on en trouve le long de la Casamance et d’autres estuaires
ou anses des régions sénégambiennes ; le long des lagunes marines de la côte
de Guinée jusqu’à la Côte d’Ivoire ; autour du Cap et sur la rive orientale du
lac Victoria (l’antique Wilton C., de L.S.B. Leakey.)
Toutefois, ces amateurs
du littoral marin n’ont jamais été très nombreux et n’ont eu que très peu
d’influence sur les populations de l’intérieur. Selon la documentation dont
le chapitre 22 a fait état, il semble qu’il ait existé quelques établissements
disséminés sur la côte de l’Afrique orientale, mais il n’existe virtuellement
aucune trace archéologique d’établissements avant le VIIIe siècle de notre
ère, époque à laquelle il semble que soient arrivés des colons plus stables en
provenance du golfe Persique et/ou de la côte Benadir de la Somalie.
Curieusement, il est plus difficile de découvrir des précisions sur les
croyances religieuses de cette époque que sur celles des groupes vivant de la
chasse et de la cueillette à la fin de l’Age de pierre. L’art rupestre de ceux-ci
permettait de nombreuses évocations25. Peut-être les premiers agriculteurs
ont-ils peint les rochers ; peut-être sont-ils à l’origine de l’art schématique
d’une bonne part de l’Afrique orientale et centrale, en particulier dans les
régions voisines du lac Victoria26 et en Zambie27. Bien que nous sachions à
peu près à quelle époque disparaît cette tradition artistique, nous n’avons
aucune idée de celle à laquelle elle apparaît.
L’ensevelissement des morts
est souvent, en soi, une manifestation de croyances religieuses et, dans bien
des cas, les objets enterrés avec eux indiquent l’idée du besoin qu’on pourrait
en ressentir dans l’autre monde. Certes, ce n’est pas là la seule explication.
Les dimensions de la sépulture, la splendeur des objets qu’on y découvre, la
magnificence de la cérémonie peuvent également servir à indiquer le statut
— qu’il soit politique, rituel, économique ou social — de la famille du défunt.
L’échelle des activités funéraires peut également aider à établir la généalogie
des principaux meneurs du deuil. Il convient, toutefois, de remarquer
(et le XXe siècle fournit d’excellents points de comparaison) que les sociétés
agnostiques élèvent souvent des mausolées somptueux. L’existence de tertres
d’inhumation ou de monuments funéraires impressionnants n’implique
pas nécessairement une croyance en un dieu ou un groupe de dieux donné ;
en revanche, elle indique indiscutablement une confiance en quelque sorte
« sociale » en l’avenir, et elle représente une manifestation politique d’un
groupe prédominant ou d’une élite. Néanmoins, les cimetières proches du
lac Kisale, au Zaïre, dans la région du Shaba, les énormes tumulus le long du
Moyen-Niger, les mégalithes et les tertres funéraires de Sénégambie attestent
tous l’existence de populations qui ne se contentent pas d’occuper les lieux
mais qui acceptent de consacrer une part de leurs richesses et une bonne part
25. M. POSNANSKY, 1972 (a), pp. 29 -44.
26. J.H. CHAPLIN, 1974, pp. 1 -50.
27. D.W. PHILLIPSON, 1972.
de leur travail à des monuments et/ou à des objets et à des denrées funéraires.
Avant de donner une interprétation plus complète de ces manifestations,
il convient d’attendre le résultat de nouvelles fouilles et la publication de
comptes rendus archéologiques appropriés. Les règles observées au cours
des funérailles, en ce qui concerne l’orientation des corps ou l’alignement
des sépultures, indiquent un faisceau de croyances dogmatiques. La seule
importance des tumulus maliens témoigne probablement de l’institution
d’une royauté qui, sans être nécessairement divine, était certainement dotée
de beaucoup des attributs propres au souverain suprême. Dans une zone de
population réduite, de tels monarques devaient évidemment être en mesure
d’obtenir — de bon gré ou par la force (et nous ne sommes pas à même
d’en juger) — les laborieux efforts de masses de travailleurs pour ériger des
tumulus de 12 mètres de hauteur sur un diamètre de 65, comme celui de
el-Ouladzi28.
Il semble qu’au cours de la période considérée, des Etats soient apparus
sous une forme ou sous une autre. Les deux zones clefs sont le Soudan
et l’Afrique centrale autour des sources du Lualaba. Dans la région du
Soudan, il se peut qu’il ait existé trois « noyaux » : autour du Ghana, dans la
Mauritanie méridionale et au Sénégal ; dans le delta intérieur du Niger, en
amont de Ségou ; et autour du lac Tchad. Dans ces trois zones, le commerce
avec les contrées lointaines commençait à prendre de l’essor, et l’agriculture
connaissait un développement plus précoce que dans des régions plus
méridionales.
Quant à la naissance des Etats, plusieurs hypothèses ont été
avancées. Une idée bien acceptée, initialement fondée sur des suggestions
offertes par Frazer29 dans son Golden Bough, il y a plus de 80 ans, tend à
attribuer la royauté de droit divin — considérée par beaucoup comme l’une
des caractéristiques des sociétés africaines centralisées à l’Egypte antique
d’où elle aurait, peut-être, été diffusée grâce au truchement du Faiseur de
pluie. C’est ainsi qu’auraient été inspirés les premiers chefs, guides spirituels
charismatiques, qui tenaient cette inspiration des sociétés voisines
où opéraient des systèmes analogues et, en dernier ressort, d’une source
commune : l’Egypte.
Cette théorie a été, plus tard, améliorée par Baumann30
qui a décrit les caractéristiques de l’Etat soudanais ; et, plus récemment,
par Oliver31. Le concept, ainsi élaboré, de l’Etat soudanais est confirmé par
des citations de descriptions, dans l’arabe médiéval du Ghana et d’autres
Etats de l’Afrique occidentale, ainsi que par des récits portugais du XVIe
siècle relatifs aux Etats de l’Afrique centrale. Tous ces comptes rendus font
ressortir le mystère entourant le roi, l’extrême déférence de ses sujets, et
la pratique du régicide en cas de défaillance ou de mauvaise santé. Pour
Oliver, l’utilisation — qui se répand — de guerriers à cheval et armés de fer
est un facteur capital de la diffusion des idées de l’Etat, de la création de
l’élite dirigeante, du contrôle et de l’expansion des frontières.
Cependant,
28. R. MAUNY, 1961.
29. J.G. FRAZER, 1941.
30. H. BAUMANN et D. WESTERMANN, 1957.
31. R. OLIVER et B.M. FAGAN, 1975.
il existe d’autres conceptions ; et la plupart des érudits africains voient dans
les idées « diffusionnistes » un essai pour adopter des éléments culturels
plus avancés, à partir de l’étranger, sans dresser l’inventaire des possibilités
d’un développement autonome de l’autorité étatique. Les critiques de ce
point de vue diffusionniste, parmi lesquels se range l’auteur32, estiment que
bien qu’il existe des similitudes entre le cérémonial et le rituel de nombreux
États africains, des différences substantielles se font jour.
Bon nombre de similitudes tendent à devenir des acquis, en particulier
lorsque l’expansion du commerce a suivi celle de l’islam en Afrique.
D’autres raisons, avancées à propos de la formation de l’Etat, font jouer les
effets du commerce au loin et la précarité de l’exploitation minière — qui
furent, probablement, les facteurs de la croissance du Ghana — ainsi que
les résultats de la compétition pour les maigres ressources des secteurs de
fertilité incertaine. Ce point de vue a été soutenu par Carneiro33 à l’égard
de l’expansion de l’Egypte de l’Antiquité ; il peut également s’appliquer à
un contexte sahélien. D’après cette théorie, un groupe peut, souvent grâce
à une technologie militaire supérieure, se développer aux frais de voisins
plus faibles qui deviendraient alors dépendants du groupe conquérant. Avec
le temps, d’autres régions pourraient être absorbées, et le groupe conquérant
finirait par se trouver à la tête d’une vaste région dans laquelle il était
précédemment minoritaire.
Il lui faudrait alors renforcer son autorité, non
seulement au prix de prouesses militaires, mais par la structuration sociale
de la société, sous l’égide de l’élite militaire. Les traditions orales et les
rituels du groupe au pouvoir mettraient en place la religion d’Etat, qui aiderait
ainsi à assurer et à rationaliser la mystique de leur autorité. Le chef de
l’élite deviendrait alors, s’il ne l’était en fait, le descendant unique ou la
réincarnation du conquérant originel, avec assimilation de caractéristiques
divines. Dans un modèle de ce genre, la divinité du monarque n’est pas
originelle mais acquise ; parfois lentement, le plus souvent délibérément,
mais parfois, aussi, accidentellement, à titre de mécanisme de défense, en
vue de préserver l’intégralité propre au chef.
L’idée que le développement du commerce a conduit à la formation
d’Etats a été largement discutée. Essentiellement, la théorie est que le
commerce conduit à un accroissement de richesses, et cet accroissement se
manifeste éventuellement par une stratification sociale. La richesse conduit
à la possibilité de patronner d’autres activités, telles l’exploitation des minerais,
la manufacture de biens de consommation, la production alimentaire, et
à la faculté de les contrôler. Toutes ces activités conduisent à une richesse
accrue et à la centralisation de plus en plus de possibilités. Il est certain que
l’archéologie est en mesure de découvrir plusieurs de ces éléments, tels que
l’acquisition de la richesse et la stratification sociale, présente dans la région
Sanga, du Shaba. Toutefois, Bisson34 a fait observer que les vestiges des VIIIe
et IXe siècles de notre ère découverts à Sanga précèdent l’établissement dans
32. M. POSNANSKY, 1966, pp. 1 -12.
33. R.L. CARNEIRO, pp. 733 -738.
34. M.S. BISSON, 1975, op. cit., pp. 268 -89.
la région du commerce avec les pays lointains. Bien que la prospérité semble
régner, il y a carence d’importations. Bisson estime que les lingots de cuivre
en forme de croix servaient généralement de monnaie, rehaussant ainsi le
prestige et le statut du groupe dominant. En pareil cas, celui-ci pouvait avoir
été mis en place en raison de ses connaissances particulières en métallurgie ;
ou de son autorité sur les artisans indispensables ; ou, simplement, du besoin
ressenti par la communauté d’être gouvernée à la suite de l’accroissement de
la population dans un environnement particulièrement favorable.
2.1.90 Bibliographie et auteurs du livre histoire de toute l'afrique, afrique ancienne
Notice biographique des auteurs
du volume II
Introduction
G. MOKHTAR (Egypte). Archéologue ; auteur de nombreuses publications sur
l’histoire de l’Egypte ancienne ; ancien directeur du Service des antiquités.
Chapitre 1
Cheikh Anta DIOP (Sénégal). Spécialiste des sciences humaines ; auteur
de nombreux ouvrages et articles sur l’Afrique et l’origine de l’humanité ;
directeur du laboratoire de Radiocarbone de l’université de Dakar.
Chapitre 2
A. Abu BAKR (Egypte). Spécialiste de l’histoire ancienne de l’Egypte et
de la Nubie ; auteur de nombreuses publications sur l’Egypte ancienne ;
professeur à l’université du Caire ; décédé.
Chapitre 3
J. YOYOTTE (France). Egyptologue ; nombreux ouvrages sur l’égyptologie ;
directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes Etudes.
Chapitre 4
A.H. ZAYED (Egypte). Spécialiste de l’égyptologie et de l’histoire ancienne ;
auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’Egypte ancienne.
Chapitre 5
R. El NADOURY (Egypte). Spécialiste d’histoire ancienne ; auteur de
nombreux ouvrages et articles sur l’histoire du Maghreb et de l’Egypte ;
professeur d’histoire ancienne et vice-président de la faculté des Arts de
l’université d’Alexandrie.
834
afrique ancienne
Chapitre 6
H. RIAD (Egypte). Historien et archéologue ; auteur de nombreux ouvrages
sur l’époque pharaonique et gréco-romaine ; conservateur en chef du musée
du Caire.
Chapitre 7
S. DONADONI (Italie). Spécialiste de l’histoire de l’Egypte ancienne ; auteur
de plusieurs ouvrages sur l’histoire culturelle ; professeur à l’université de
Rome.
Chapitre 8
Sh. ADAM (Egypte). Spécialiste d’histoire et d’archéologie égyptiennes ;
auteur de nombreuses publications sur l’Egypte ancienne ; directeur du
Centre de documentation et d’études sur la civilisation de l’ancienne
Egypte du Caire.
Chapitre 9
N.M. SHERIF (Soudan). Archéologue ; auteur de nombreux ouvrages sur
l’archéologie du Soudan ; responsable du Musée national de Khartoum.
Chapitre 10
J. LECLANT (France). Egyptologue ; auteur de nombreux ouvrages sur
l’Egypte ancienne ; professeur au collège de France ; membre de l’Académie
des Inscriptions et Belles Lettres.
Chapitre 1l
A. HAKEM (Soudan). Spécialiste de l’histoire ancienne ; auteur de nombreux
ouvrages sur l’ancien Soudan ; chef du département d’histoire de
l’université de Khartoum.
Chapitre 12
K. MICHALOWSKI (Pologne). Spécialiste d’archéologie méditerranéenne ;
auteur de nombreuses publications sur l’art de l’Egypte ancienne ; professeur
d’archéologie ; vice-directeur du Musée national de Varsovie.
Chapitre 13
H. DE CONTENSON (France). Spécialiste d’histoire africaine ; ouvrages sur l’archéologie
éthiopienne et la Nubie chrétienne ; maître de recherche au Centre
national de la recherche scientifique.
Chapitre 14
F. ANFRAY (France). Archéologue ; auteur de plusieurs articles sur les
recherches archéologiques en Ethiopie ; chef de la Mission française d’archéologie
en Ethiopie.
notice biographique DES AU TEURS
835
Chapitre 15
Y. KOBISHANOV (URSS). Historien ; auteur de nombreux articles d’anthropologie
africaine ; membre de l’Académie des sciences d’URSS.
Chapitre 16
TEKLE TSADIK MEKOURIA (Ethiopie). Historien ; écrivain ; spécialiste
de l’histoire politique, économique et sociale de l’Ethiopie des origines
jusqu’au XXe siècle ; en retraite.
Chapitre 17
J. DESANGES (France). Spécialiste de l’histoire de l’Antiquité africaine ;
auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’Afrique antique ; chargé de
conférences à l’université de Nantes.
Chapitre 18
H. WARMINGTON (Royaume-Uni). Spécialiste de l’histoire de l’Antiquité
romaine ; auteur de nombreux ouvrages sur l’Afrique du Nord ; « lecturer »
en histoire ancienne.
Chapitre 19
A. MAJHOUBI (Tunisie). Spécialiste de l’histoire ancienne de l’Afrique du
Nord ; ouvrages et articles sur l’archéologie de la Tunisie ; maître-assistant à
l’université de Tunis.
P. SALAMA (Algérie). Archéologue ; historien des institutions anciennes du
Maghreb ; professeur à l’Université d’Alger.
Chapitre 20
P. SALAMA (Algérie).
Chapitre 21
M. POSNANSKY (Royaume-Uni). Historien et archéologue ; auteur d’importants
ouvrages sur l’histoire archéologique de l’Afrique de l’Est.
Chapitre 22
A. SHERIFF (Tanzanie). Spécialiste des questions relatives à la traite sur la
côte est-africaine ; maître de conférences à l’université de Dar-es-Salaam.
Chapitre 23
J.E.G. SUTTON (Royaume-Uni). Spécialiste de la Préhistoire ; auteur de
nombreux ouvrages sur la Préhistoire africaine ; ancien président du département
d’archéologie de l’université d’Oxford.
Chapitre 24
B. WAI-ANDAH (Nigeria). Archéologue ; chargé de cours à l’université d’Ibadan
; ouvrages sur l’archéologie de l’Afrique de l’Ouest.
836
afrique ancienne
Chapitre 25
P. VAN NOTEN (Belgique). Préhistorien et archéologue ; auteur de nombreux
ouvrages et publications sur la Préhistoire de l’Afrique centrale ;
conservateur au Musée royal de Préhistoire et d’Archéologie.
Chapitre 26
J.E. PARKINGTON (Royaume-Uni). Archéologue ; ouvrages sur la préhistoire
de l’Afrique australe ; professeur d’archéologie.
Chapitre 27
D.W. PHILLIPSON (Royaume-Uni). Archéologue ; auteur d’ouvrages sur
l’archéologie de l’Afrique de l’Est et australe.
Chapitre 28
P. VERIN (France). Historien et archéologue ; auteur de nombreuses publications
sur Madagascar et les civilisations de l’océan Indien ; chercheur à
Madagascar.
Chapitre 29
M. POSNANSKY (Royaume-Uni). Historien et archéologue ; auteur d’importants
ouvrages sur l’histoire archéologique de l’Afrique de l’Est.
Conclusion
G. MOKHTAR (Egypte).
837
Membres du comité scientifique international
pour la rédaction d’une
Histoire générale de l’Afrique
Professeur J.F.A. AJAYI (Nigeria) — 1971 -1979
Directeur du volume VI
Professeur F.A. ALBUQUERQUE MOURAO (Brésil) — 1975 -1979
Professeur A. ADU BOAHEN (Ghana) — 1971 -1979
Directeur du volume VII
S. Exc. M. BOUBOU HAMA (Niger) — 1971 -1978
H.E. Mrs. Mutumba BULL (Zambie) — 1971 -1979
Professeur D. CHANAIWA (Zimbabwe) — 1975 -1979
Professeur Ph. CURTIN (Etats-Unis d’Amérique) — 1975 -1979
Professeur J. DEVISSE (France) — 1971 -1979
Professeur Manuel DIFUILA (Angola) — 1978 -1979
Professeur H. DJAIT (Tunisie) — 1975 -1979
Professeur Cheikh Anta DIOP (Sénégal) — 1971 -1979
Professeur J.D. FAGE (Royaume-Uni) — 1971 -1979
S. Exc. M. Mohammed EL FASI (Maroc) — 1971 -1979
Directeur du volume III
Professeur J.L. FRANCO (Cuba) — 1971 -1979
M. M. H.I. GALAAL (Somalie) — 1971 -1979
Professeur Dr. V.L. GROTTANELLI (Italie) — 1971 -1979
Professeur E. HABERLAND (Rép. féd. d’Allemagne) — 1971 -1979
Dr. AKLILU HABTE (Ethiopie) — 1971 -1979
S. Exc. M. A. HAMPATE BA (Mali) — 1971 -1978
838
afrique ancienne
Dr. I. S. EL-HAREIR (Libye) — 1978 -1979
Dr. I. HRBEK (Tchécoslovaquie) — 1971 -1979
Dr. (Mrs.) A. JONES (Libéria) — 1971 -1979
Abbé A. KAGAME (Rwanda) — 1971 -1979
Professeur I.M. KIMANBO (Tanzanie) — 1971 -1979
Professeur J. KI-ZERBO (Haute-Volta) — 1971 -1979
Directeur du volume I
M. D. LAYA (Niger) — 1979
Dr. A. LETNEV (URSS) — 1971 -1979
Dr. G. MOKHTAR (Egypte) — 1971 -1979
Directeur du volume II
Professeur Ph. MUTIBWA (Ouganda) — 1975 -1979
Professeur D.T. NIANE (Sénégal) — 1971 -1979
Directeur du volume IV
Professeur L.D. NGCONGCO (Botswana) — 1971 -1979
Professeur Th. OBENGA (R. P. du Congo) — 1975 -1979
Professeur B.A. OGOT (Kenya) — 1971 -1979
Directeur du volume V
Professeur Ch. RAVOAJANAHARY (Madagascar) — 1971 -1979
M. W. RODNEY (Guyana) — 1979
Professeur M. SHIBEIKA (Soudan) — 1971 -1979
Professeur Y.A. TALIB (Singapour) — 1975 -1979
Professeur A. TEIXEIRA DA MOTA (Portugal) — 1978 -1979
Mgr. Th. TSHIBANGU (Zaïre) — 1971 -1979
Professeur J. VANSINA (Belgique) — 1971 -1979
The Rt. Hon. Dr. E. WILLIAMS (Trinité-et-Tobago) — 1976 -1978
Professeur A. MAZRUI (Kenya)
Directeur du volume VIII (n’est pas membre du Comité)
Secrétariat du Comité scientifique international pour la rédaction d’une
Histoire générale de l’Afrique : M. Maurice GLÉLÉ, Division des études de
cultures, Unesco, 1, rue Miollis, 75015 Paris
Passant de l’hypothèse à la certitude, le seul secteur où nous soyons en
mesure d’affirmer, avec conviction, l’existence d’un royaume au cours de la
période considérée se situe à la limite occidentale du Soudan, là où le royaume
du Ghana existait, sans conteste, en + 700 ; là où il est possible qu’il ait été en
« devenir » pendant près d’un millier d’années. Les raisons de sa croissance,
on les trouve dans la possession de précieuses richesses minérales : le cuivre,
le fer et l’or (pour respecter l’ordre probable de leur exploitation), dans son
contrôle du commerce du sel et, probablement, dans sa localisation dans une
aire où se développait précocement un mode de vie agricole, tel qu’il ressort
du contexte de Tichitt. Le prochain volume s’attachera à une étude approfondie
de cet Etat, mais il est probable que la coexistence dans le temps de
la croissance du Ghana antique, de l’érection des mégalithes de Sénégambie
et des somptueux tertres funéraires du Sénégal, ne peut s’expliquer par une
simple coïncidence — sans doute ces manifestations font-elles partie d’un
même contexte d’expansion économique.
Ainsi que nous l’avons vu dans les précédents chapitres, la période
qui se termine n’a pas connu la conclusion uniforme de l’Afrique du Nord ;
cependant, la conquête de celle-ci par les Arabes ne laissera pas d’avoir sur
l’Afrique occidentale et l’Afrique orientale des conséquences importantes —
que ce soit directement ou indirectement. Nous avons vu que vers + 800
la plus grande partie de l’Afrique était fermement installée dans l’Age du
fer. Les lisières de la forêt dense étaient peu à peu dégradées par l’avance
de l’agriculture, en Afrique occidentale comme au sud de l’Afrique centrale.
La population augmente. La première phase de la révolution agricole a
largement contribué à la rapide expansion de petits groupes d’agriculteurslaboureurs
qui récoltent probablement une part de leurs protéines en utilisant
les méthodes antiques, et plus qu’éprouvées, de leurs ancêtres de l’Age de
pierre, adeptes de la chasse et de la cueillette. Presque tout leur équipement
de chasse est resté celui de leurs prédécesseurs : filets, hameçons d’os et de
corne, lances et flèches de bois ; peut-être même ces flèches sont-elles encore
armées de barbes, fournies par des microlithes ou les extrémités aiguisées
de cornes d’antilopes, ou de toute autre substance similaire. Ici et là, l’équipement
de chasse est complété par des pointes de flèches en fer, plus coûteuses
mais plus efficaces, et des hameçons plus vite façonnés. L’essentiel
de leur mythologie et de leur religion doit aussi leur venir de leurs lointains
ancêtres, mais, la vie tendant à se stabiliser, ils se tournent vers de nouvelles
croyances fondées sur les mystères de l’agriculture et du travail des métaux.
Il est probable que certaines de ces croyances leur aient été transmises par
ceux-là même qui les ont initiés aux nouveaux mystères.
2.1.87 Les fermiers de l'age de fer, afrique de l'ouest, afrique ancienne
Les fermiers de l’Age du fer deviennent plus entreprenants ; ils moulent des poteries, taillent
des tambours, tressent des paniers, fondent le fer, forgent des outils. Leur
religion se concentre sur des déités créatrices, et leurs systèmes de croyances
tendent à assurer la délivrance des vicissitudes de la nature auxquelles les
agriculteurs sont le plus vulnérables. Il est non moins probable que leurs
rites et leur musique deviennent plus complexes ; leur culture matérielle,
plus diversifiée ; leur sens de la tradition et de la pérennité sociale, plus
fermement établi. Des changements fondamentaux viennent de se produire
dans la société. Ils exerceront, en fin de compte, leur influence sur toutes les
périodes postérieures de l’histoire africaine.
Sous l'impulsion du professeur des universités de Toulon, Monsieur Luc Quoniam...
Merci à l'université de Ouagadougou et à monsieur Philippe SAWADOGO.
signé Jacky BAYILI